La réussite de Donald Trump ne marque pas la fin de la droite chrétienne

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La réussite de Donald Trump ne marque pas la fin de la droite chrétienne

12 mai 2016
Le succès de Donald Trump dans les primaires du parti républicain aux Etats-Unis est considéré par beaucoup d’analystes comme le signe du recul de la droite chrétienne sur l’échiquier politique américain Analyse d’une réalité plus nuancée qu’elle n’y paraît.

Dans un article récent de The Atlantic, le commentateur politique David Frum suggérait que Donald Trump avait tout réussi sauf écarter les sociaux conservateurs organes internes du parti. Il s’appuie sur une logique selon laquelle Ted Cruz est le candidat de la droite chrétienne. En effet, il a le soutien de piliers tels que James Dobson, Tony Perkins et Glenn Beck. Donald Trump serait, quant à lui, le candidat des «valeurs new-yorkaises» qui ne sont parvenues à séduire que quelques leaders évangéliques (Jerry Falwell Jr, Robert Jeffress, Pat Robertson, par exemple). Mais ce qui échappe aux analystes tels que David Frum, c’est que beaucoup d’électeurs évangéliques conservateurs croient qu’il est possible de soutenir Donald Trump sans compromettre leurs convictions morales sur l’avortement, le mariage et la liberté religieuse, qui sont les principaux sujets de préoccupation de la droite chrétienne en 2016.

Les convictions des conservateurs qui soutiennent Ted Cruz et celles des conservateurs évangéliques qui soutiennent Donald Trump sont vraiment les deux faces d’une même pièce. Deux façons de comprendre la politique évangélique qui ne diffèrent que sur l’ordre de priorisation de quelques points. La droite chrétienne est loin d’être morte. Elle traverse juste une période de querelle interne.

Ainsi d’un côté de cette dispute, il y a ceux qui votent «Dieu». Ces évangéliques ont mis l’accent sur les questions sociales — avortement, définition du mariage et liberté religieuse. Ils se rallient à Ted Cruz. Ce sont les sociaux conservateurs que les commentateurs et autres érudits qualifient généralement de chrétiens qui votent selon leurs valeurs. De l’autre côté, il y a ceux qui votent «nation». Ces évangéliques accordent une place importante à «la grandeur» des Etats-Unis. Il serait facile d’interpréter ce groupe comme étant moins concerné par la spiritualité en politique que ceux de la fraction qui votent «Dieu», mais ce serait faux. A la base, leur idéal d’Amérique exceptionnelle est une position théologique. Ces votants croient que l’Amérique est grande par ce que c’est la nouvelle Israël, le peuple élu. Dans l’autre camp, ceux qui pensent que les Etats-Unis doivent rester purs (par exemple en interdisant l’accès au territoire aux migrants musulmans sans papier) et doivent user de l’épée du Seigneur à l’étranger (ce qui dans leur esprit est généralement synonyme de promouvoir la liberté, voire le libéralisme), on se range du côté de Donald Trump.

Si «le Donald» est l’instrument de Dieu pour faire de l’Amérique une grande nation à nouveau, alors ces votants sont plus que prêts à s’accommoder du langage cru et décidément pas très chrétien avec lequel il mène sa campagne. Les différences entre les évangéliques «Dieu» et les évangéliques «nation» sont subtiles. Mais ce sont précisément ce type de différences qui conduisent les choix des électeurs lors d’une primaire.

Bien sûr que Ted Cruz et ses équipes croient également dans le caractère exceptionnel de l’Amérique et qu’ils voient dans les migrants sans-papier une menace pour la république. Les soutiens évangéliques de Donald Trump sont également préoccupés par l’avortement, le mariage de même sexe et la liberté religieuse. Mais Ted Cruz a fait de ces trois points le centre de sa campagne, alors que le message de Donald Trump insiste sur l’exceptionnalisme.

C’est peut-être la première fois dans le parti républicain de l’après Reagan, que les électeurs évangéliques sont divisés à ce point. Jusqu’à cette année, la droite chrétienne a dans sa majorité toujours été fédérée. Mais en prenant l’histoire comme guide, on s’aperçoit que les différences entre les votants «Dieu» et les votants «nations» ne dureront pas. Les protestants américains ont toujours confondu Dieu et nation.

Il existe de nombreux précédents historiques qui montrent cette mentalité «Dieu et nation». Au début du XIXe siècle, la société biblique américaine promouvait la circulation de la Bible dans le but de convertir des gens au christianisme et de rendre la nation encore plus exceptionnelle. Au XXe siècle, des chercheurs ont proposé un nom pour cette pratique visant à confondre Dieu et la nation. Ils ont appelé cela la «religion civile». Cette sorte de foi publique est immanquable dans la culture américaine actuelle. Par exemple, les mots «In God We Trust» (Nous avons confiance en Dieu) figurent sur la monnaie; dans le Serment d’allégeance, une référence à Dieu a été ajoutée; et les présidents des Etats-Unis utilisent en permanence le mantra «God Bless America» (Dieu bénisse l’Amérique).

Quand Jerry Falwell, Pat Robertson, Ralph Reed, James Dobson et d’autres avec l’aide de Ronald Reagan ont commencé à utiliser explicitement le vocabulaire «Dieu et nation» dans les années 1980, ils n’ont fait que vivifier une tradition existante.

Alors, n’oublions pas que pour les évangéliques républicains d’aujourd’hui, dont beaucoup sont issus de la génération du baby-boom et qui voient les années 1980 avec nostalgie, il n’y a pas de différence entre se battre pour leur point de vue sur les questions sociales et se battre pour la grandeur voulue par Dieu de leur nation.

La victoire présumée de Donald Trump nous montre que dans ce cycle d’élection, la «grande nation» des évangéliques actifs dans l’économie l’a emporté sur la vieille garde retraitée qui avait construit ses réussites politiques sur les enjeux de société. Mais nous savons que le camp de Dieu et le camp de la nation seront main dans la main en novembre quand l’ennemi commun sera prénommé Hillary.