«Il faut continuer de lutter contre la stigmatisation des personnes souffrant de troubles psychiques»

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«Il faut continuer de lutter contre la stigmatisation des personnes souffrant de troubles psychiques»

Laurence Villoz
15 septembre 2017
Le Groupe d’accueil et d’action psychiatrique célèbre ses trente ans d’activités en 2017
La situation des personnes concernées a-t-elle vraiment changé?

Depuis trente ans, le Groupe d’accueil et d’action psychiatrique (GRAAP), basé à Lausanne, soutient des personnes concernées par la maladie psychique en leur offrant des lieux de rencontres, divers ateliers et des possibilités de réinsertions professionnelles. L’ouvrage «Folie à temps partiel: d’objet de soins à citoyen», réalisé pour l’anniversaire du groupe, retrace l’histoire des mouvements de patients qui se sont développés à partir de la fin des années 1980, permettant aux personnes concernées de faire entendre leur voix et de défendre leurs droits. Rencontre avec l’auteure de ce livre, Stéphanie Romanens-Pythoud, également rédactrice en cheffe de la revue du GRAAP et Jean-Pierre Zbinden, directeur du groupe.

Dans quel contexte s’est créé le GRAAP?

JPZ: Jusqu’à la fin des années 1970, l’hôpital psychiatrique avait un aspect asilaire d’accueil. J’y ai rencontré des personnes qui y vivaient depuis 30 ans. C’était leur village, ils avaient construit toute une partie de leur vie là-bas. Puis, dans les années 1980, les hôpitaux sont devenus des lieux de soins et ces patients de longue date ont été mis dehors.

SRP: A cette époque, Madeleine Pont, alors assistante sociale, s’est rendue compte que le travail social individuel n’était pas suffisant et que la force du groupe était davantage efficace. De par sa profession, elle s’est aussi aperçue que les personnes concernées par la maladie étaient expertes de leurs troubles. Elle a donc rassemblé ces personnes et sous son impulsion, elles ont créé le GRAAP en 1987. Actuellement, ce sont toujours les mêmes fondements qui portent notre organisation: l’accueil sans jugement, l’insertion sociale, la défense des droits et l’action communautaire.

En trente ans, le GRAAP s’est professionnalisé, est-ce que cela ne nuit pas à son côté communautaire?

JPZ: Toutes les personnes du GRAAP donnent et reçoivent, qu’elles soient salariées ou bénéficiaires de prestations. L’énergie vient de projets collectifs, d’initiatives comme le salon de coiffure, la mise sous pli, l’impression ou la création du journal. Elles ont été portées par les personnes souffrant de troubles psychiques. Celles-ci ont par ailleurs contribué à la formation des travailleurs sociaux. Les stagiaires des programmes de chômage ont également été à l’origine de plusieurs ateliers. Certains se sont formés et devenues salariés. Nous cultivons cette perméabilité qui permet de bénéficier des prestations tout en apportant sa contribution à l’organisation voire en fournissant des prestations. Oui nous avons gardé l’aspect communautaire.

Avez-vous l’impression que le public a changé par rapport aux années 1990?

SRP: Pas vraiment. Je ne trouve pas qu’il y ait eu une évolution dans le profil des personnes qui se rendent au GRAAP. Il faut savoir que nous ne connaissons pas forcément le diagnostic des gens et cela n’a aucune importance pour nous.

Quel est le rapport du GRAAP avec les Eglises?

SRP: Le GRAAP en tant que tel n’a pas de liens particuliers avec les Eglises, par contre une majorité des personnes qui viennent ont une vie spirituelle riche.

JPZ: La maladie confronte les gens à la question du sens. Les discussions glissent très vite sur des questions existentielles. On souhaite d’ailleurs que les personnes puissent nourrir leur besoin spirituel ailleurs qu’au GRAAP. On s’assure que ce ne soit pas des systèmes où les personnes pourraient être manipulées. Par exemple, on ne laissera pas une publicité pour des groupes sectaires, dans nos centres.

Dernièrement, la scientologie et l’UDC se sont positionnés contre les électrochocs. Que penser de cette pratique?

JPZ: Quand j’ai commencé à travailler à Malévoz, à la fin des années 1970, j’étais résolument contre les électrochocs. Puis, j’y ai rencontré une personne qui demandait ce traitement qui la soulageait réellement, alors j’ai modéré mon point de vue. C’est un traitement lourd qui ne doit pas être banalisé, systématisé ou constituer une première alternative. Le consentement du patient est impératif et l’accompagnement autour de cet acte médical doit être assuré.

SRP: Moi aussi, je connais une personne qui a suivi ce genre de traitement. Elle se dit exaspérée face aux débats contre la sismothérapie qui ne tiennent pas compte du mieux-être que cela lui a apporté. Actuellement en Suisse, ce traitement a toujours lieu avec le consentement éclairé de la personne.

Quels sont les principaux enjeux actuels du travail social et de la psychiatrie?

SRP: Il faut continuer de lutter contre la stigmatisation des personnes souffrant de troubles psychiques à tous les niveaux, sociaux, professionnels et médicaux. Des études ont montré que même le personnel médical a encore des idées préconçues sur les maladies psychiques.

JPZ: On enferme la personne dans sa maladie, comme si ses symptômes la résumaient.

Que faire face à cette stigmatisation persistante?

SRP: Nous devons nous efforcer d’intégrer au maximum les personnes concernées dans la société afin de casser les préjugés.

JPZ: Si la plupart des gens ont peur de la maladie psychique, c’est parce qu’ils ne voient pas vraiment la différence entre la personne souffrante et eux-mêmes. En effet, en dehors des périodes de décompensation, la personne dispose de compétences. Je ne vois pas ce qui me distingue d’elle. En leur mettant l’étiquette de «malade», cela me rassure. C’est le même mécanisme qu’avec tous les problèmes d’exclusions sociales ou de racismes. Les gens ont peur de l’inconnu, dès que les personnes se rencontrent, ils revoient leurs jugements.

Activités pour les 30 ans du GRAAP

Tous en long de l’année 2017, le GRAAP a organisé différents événements en lien avec ses 30 ans. Voici le programme des activités pour les mois d’octobre à novembre:

  • La pièce de théâtre «On est tous Achille», réalisé par le GRAAP et l’association Rebond’Art, sur le thème de la vulnérabilité, sera présentée pour la première fois les 9 et 10 octobre au théâtre de Colombier (NE), puis les 28 et 29 octobre à la Maison de quartier de Chailly, à Lausanne.
  • Le GRAAP organise un bal de l’entraide sur le thème de la vulnérabilité, le vendredi 17 novembre, dès 18h30, au Casino Barrière, à Montreux. ()

«Folie à temps partiel»

Le Groupe d’accueil et d’action psychiatrique (GRAAP), l’Association neuchâteloise d’accueil et d’action psychiatrique (ANAAP) et l’Association fribourgeoise action et accompagnement psychiatrique (AFAAP), créés respectivement en 1987, 1991 et 1992, ont publié fin mai «Folie à temps partiel: d’objet de soins à citoyen», un ouvrage qui retrace l’histoire de ces trois associations. Il raconte comment les personnes souffrant de troubles psychiques se sont unies pour créer des espaces communautaires, lutter contre la stigmatisation et se battre pour leurs droits. Parallèlement, ce livre explore l’évolution de la psychiatrie romande, les défis à relever et le développement de l’accompagnement des personnes concernées. Plusieurs témoignages illustrent également ce retour sur trente ans d’accueil et d’actions psychiatriques.

Réalisé par Stéphanie Romanens-Pythoud, en collaboration avec Virginie Stucki, Krzysztof Skuza et Shirin Hatam, «Folie à temps partiel» a été publié aux éditions Médecine & Hygiène et peut être commandé pour le prix de 22 francs. Disponible également dans les secrétariats des trois organisations.