En amour: éros ou agapé?

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En amour: éros ou agapé?

8 mars 2023

Même si peu exacte, la distinction entre éros et agapé est entrée dans les usages et s'avère fort utile pour distinguer deux compréhensions de l'amour. Habituellement le français n'use que d'un terme pour dire l'amour-passion, l'amour parental, l'amour filial, l'amour fraternel ou sororal, l'amour au sein du couple... Le Nouveau Testament, à la suite de la langue grecque, use de plusieurs termes. Deux en particulier marquent une différence radicale dans la manière dont on comprend et vit son amour.

 

Lorsqu'ils parlent de l'amour de Dieu pour les humains,les auteurs néotestamentaires usent d'un terme assez rarement utilisé en grec : agapé. L'agapé de Dieu n'est pas intéressée. Elle est pur don, pure grâce. Elle n'attend rien en retour. Elle ne joue pas le jeu de la rétribution ou du donnant-donnant. C'est en cela qu'elle se distingue radicalement de l'amour humain. Ce dernier qui est le plus souvent appelé éros ne qualifie pas du tout que ce que l'on désigne aujourd'hui sous le nom d'érotisme. L'éros est la manière « naturelle » d'aimer fondée sur le don et le contre-don. Je te donne dans l'espoir que tu me donnes en retour. Si tu ne réponds pas à mon don par un contre-don, je cesserai de te donner. Parfois même : je ne te donne rien, parce que tu ne m'as jamais rien donné. On peut aussi dire que cet amour-érotique est intéressé. Il ne connaît pas la gratuité.

 

Ici, on me rétorquera que, par exemple, l'amour-passion ou l'amour maternel offrent inconditionnellement. Il est vrai que ces formes d'amour connaissent parfois le don désintéressé. Pourtant, il faut d'abord insister sur le « parfois ». Tout amour-passion ou tout amour maternel n'est pas automatiquement gratuit. D'autre part cette gratuité ne s'installe que difficilement dans la durée. Ils muent assez facilement en amour érotique. Enfin ces amours ne tiennent pas le choc de l'adversité. Combien de mères confrontée aux horreurs commises par leur enfant sont capables de pardonner ? Combien d'amours-passion, la déception venue, se sont muées en haines tout aussi passionnées ?... Dans tout amour humain il semble donc y avoir de l'intérêt personnel, pour le moins sub-conscient. Et si un humain était naturellement capable d'agapé, il conviendrait d'y reconnaître l'action subreptice de Dieu.

 

L'agapé semble être la forme idéale d'amour. Pourquoi en sommes-nous tellement incapables ? Parce que nous nous aimons beaucoup nous-mêmes. Si nous n'étions pas aussi égocentrés, voire narcissiques, nous n'aurions pas besoin qu'on nous rende pour ce que nous donnons. Nous ne serions jamais déçus par l'ingratitude des autres. Nous pourrions donner autant que faire se peut et pourrions aussi toujours veiller à être reconnaissants pour ce que les autres nous offrent. Mais de tout cela nous sommes peu capables, voire totalement incapables. Pour résoudre les problèmes qui se posent dans toutes relations humaines, il semble donc qu'il faudrait arriver à devenir pour le moins indifférents à nous-mêmes.

 

Ici on me fera remarquer que Jésus, lorsqu'il résume la volonté de Dieu (Marc 12,29-31), reprend un verset du livre du Lévitique dans lequel nous sommes invités à aimer notre prochain « comme nous-mêmes » (Lv 19.18). La volonté de Dieu est donc qu'on s'aime un tantinet soi-même, pas qu'on soit indifférent à soi ou pire qu'on se haïsse soi-même ! Mais il y a ici aussi deux manières de s'aimer soi-même, l'une « érotique », l'autre « agapique ». Si on voit assez bien ce que signifie s'aimer de manière intéressée, on ne sait en général pas trop ce que pourrait signifier s'aimer de manière désintéressée.

 

Le plus simple est de donner un ou deux exemples d'un tel amour désintéressé de soi. Quand Dieu m'appelle à lui consacrer ma vie, je puis lui dédier chaque instant de cette vie, ne jamais prendre de repos, de vacances, ne pas avoir de loisirs... Je vais assez rapidement m'épuiser. Il se pourrait que Dieu me demande alors de m'aimer moi-même en prenant du temps pour moi afin de pouvoir pleinement continuer à le servir. Cet amour de moi-même ne sera pas intéressé. Il sera au service de l'amour que j'ai pour Dieu. Il en va de même dans ma relation à mon prochain. J'ai connu des parents d'un enfant handicapé qui se sont littéralement tués tous deux à la tâche. Il n'était pas question qu'ils confient leur enfant à une institution. Il n'était pas non plus question de prendre du temps pour souffler. Résultat : leur enfant leur a survécu, sans ne plus bénéficier de cet amour dont il leur semblait qu'eux seuls pouvaient le manifester. Ils n'ont pas su s'aimer un peu eux-mêmes afin de pouvoir mieux encore aimer leur enfant.

 

Nous faisons cependant régulièrement l'expérience que cet amour-agapique de soi se transforme très facilement en amour-érotique. Tout aussi régulièrement il convient donc d'en revenir à un amour désintéressé de soi. Mais qui me donnera le courage de toujours répéter ce demi-tour existentiel ? Ma réponse : l'exemple de Jésus. Les évangiles nous disent qu'alors que les foules le recherchent et le suivent, il les enseigne, mais à aussi besoin de prendre distance d'avec elles en s'isolant en montagne, en mer, à l'écart. Lui aussi a eu besoin de ressourcement. Par ailleurs, dans la dernière semaine de sa vie, mais peut-être auparavant déjà – cela dépend des évangiles – Jésus échappe à ceux qui cherchent à l'arrêter pour le tuer. Il le fait volontairement car il semble bien avoir l'impression de devoir encore partager un certain nombre de choses avec son peuple et plus particulièrement avec ses disciples. En ce sens il s'aime un peu lui-même pour servir son Père et son prochain. C'est en ce sens et en ce sens seulement qu'il est possible de s'aimer authentiquement soi-même.

 

Certains émettront encore une objection. Ils rappelleront que Jésus demande à ses disciples de renoncer à eux-mêmes, de perdre leur vie (Marc 8.34s.). L'amour agapique de soi n'est-il pas alors une concession à nos penchants humains trop humains à l'égocentration ? Nullement. Ne faudrait-il pas être capable d'y renoncer pour vraiment devenir disciples du Christ ? Ici Jésus parle de renoncer à soi pour le suivre et donc pour servir Dieu. Ce renoncement à soi désigne le renoncement à son rapport « érotique », intéressé, égocentrique à soi. Sans y renoncer nous ne pouvons pas aimer Dieu en vérité. Et ce n'est qu'en se mettant corps, âme et esprit au service de Dieu que l'on peut vraiment recevoir autrui et se recevoir soi-même comme des dons que Dieu nous fait et ainsi aimer autrui et s'aimer soi-même authentiquement.

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