Refuser la servitude volontaire

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[pas de légende]

Refuser la servitude volontaire

Philippe Nicolet
11 décembre 2022
Réflexion du pasteur retraité Philippe Nicolet à propos de l’actuel régime Russe. Paru dans le Journal du Jura du 3 décembre dernier.

Dans une tribune publiée le 25 novembre 2022 sur le site de l’hebdomadaire français, « l’Obs », le philosophe ukrainien, Constantin Sigov, écrit que le « poutinisme » est une idéologie qui ne propose rien d’autre qu’une « servitude volontaire ». Et c’est pourquoi il ne se contente pas d’instiller la peur du froid et de l’obscurité, la crainte de l’appauvrissement et de l’anéantissement nucléaire. Il veut encore susciter, chez les alliés de l’Ukraine, des calculs d’intérêts mesquins ainsi que le doute quant au bien-fondé et à l’utilité d’un soutien à un pays dont le destin importe en définitive assez peu. L’Ukraine mérite-elle vraiment qu’on sacrifie son propre bien-être pour assurer sa défense ?

Ainsi, cette servitude volontaire, cet abandon de la solidarité avec une population en danger ne seraient pas seulement le fruit empoisonné né d’une épouvante face à un régime aux décisions d’autant plus effrayantes qu’elles sont imprévisibles. Mais, comme l’avait déjà montré, vers 1980, l’écrivain russe, Alexandre Zinoviev, dans son analyse critique du système communiste, la préférence pour la servitude pourrait aussi être fondée sur la tentation et la séduction, et plus précisément sur la promesse d’une vie « sans risque et sans responsabilité personnelle de ses actes, sans complication et avec un minimum de bien-être matériel garanti »*. Il pourrait donc sembler plus facile d’être esclave que de ne pas l’être.

C’est pourquoi, dans ce temps de l‘Avent, il importe que chrétiennes et chrétiens n’oublient pas que ce qu’ils s’apprêtent à célébrer c’est bien la venue dans le monde de celui que Dieu a choisi pour jeter les puissants à bas de leur trône, pour élever les humbles et pour donner la liberté aux opprimés, comme le dit l’Évangile. Ainsi, durant ce temps de l’Avent (mais en tout autre temps aussi !), cet Évangile appelle les croyantes et les croyants à résister à la tentation de la « servitude volontaire » qui ne cesse de menacer. Face au sentiment d’impuissance et à la lassitude que la violence répétée peut engendrer, face à l’effroi qui veut paralyser toute initiative, face aussi à l’indifférence égoïste et au désir d’être préservé à tout prix, il importe de se souvenir que, dans la foi, il n’est pas de louange sans protestation. La foi n’est rien si elle n’ouvre pas à un engagement déterminé – aussi modeste qu’il puisse être – en faveur de celles et ceux qui subissent souffrances et destructions.

*ALEXANDRE ZINOVIEV, Liberté et asservissement in ALEXANDRE ZINOVIEV Ni liberté, ni égalité, ni fraternité. Lausanne, L’Âge d’Homme, 193, p. 48-49