Oser élargir le répertoire : paroles de pasteurs

© Réformés le journal / Pierre Bader, Nicolas Charrière et Marc Seiler
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© Réformés le journal
Pierre Bader, Nicolas Charrière et Marc Seiler

Oser élargir le répertoire : paroles de pasteurs

Approches
Trois pasteurs réformés romands décrivent leur rapport à la musique rock. Leurs approches divergent au sujet de l'intégration de ce style musical dans le culte protestant. L'objectif d'attirer de nouvelles personnes, le contenu du message véhiculé et la qualité de l'orchestration apparaissent comme des critères déterminants.
Le culte réformé est musicalement flexible
Pierre Bader, pasteur, Corsier-Corseaux

MULTICULTURALISME Le pasteur Bader part du constat que des gens de plusieurs cultures cohabitent dans sa paroisse. Il s’agit donc de leur offrir des cultes qui mélangent plusieurs styles liturgiques, «des cultes de bric et de broc». Ces cultes sont souvent intergénérationnels et bien fréquentés. Pierre Bader est convaincu que le culte réformé ne correspond pas à un seul modèle culturel, celui de la musique de Bach, mais que son message théologique est adaptable à divers genres musicaux.

Pourquoi un Coréen ou un Africain devraient-ils chanter comme un Suisse ? «Dans ma génération, je n’ai pas grandi avec Bach, pourquoi devrais-je changer de culture pour venir à l’Eglise ? Pour m’intégrer dans la paroisse, je dois faire un effort d’adaptation, mais il est préférable que la communauté fasse aussi un bout de chemin dans mon sens

Ce rapprochement est possible car les mêmes principes théologiques peuvent être exprimés de diverses façons. Le pasteur y voit le miracle de la Pentecôte, qui fonde l’Eglise universelle dans le livre biblique des Actes des apôtres. Les gens s’écriaient : « C’est incroyable, ces personnes étrangères parlent la même langue que nous ! » La communauté spirituelle permet à des humains de divers horizons de se rencontrer et de prier ensemble.

Des préjugés hautains

«La musique classique serait la musique de Dieu et le rock celle de Satan. Ce jugement est si caricatural qu’il ne vaut même pas la peine d’y répondre. Dans l’Eglise, on entend beaucoup de remarques méprisantes sur la musique moderne.» La paroisse propose plusieurs cultes par dimanche. Dans certaines de ces célébrations, un orchestre de louange joue une musique rythmée, parfois accompagné de l’orgue. On «fausse la moyenne» du style musical, dit le pasteur, afin d’attirer de nouvelles personnes vers la vie cultuelle. Une stratégie gagnante à long terme. Comme ailleurs, les cultes correspondant aux attentes des protestants traditionnels rassemblent un public au-dessus de la soixantaine.

Evitons d'étouffer la vivacité du rock
Nicolas Charrière, pasteur et ancien batteur, Vaulion

AFFADISSEMENT Ce passionné de musique rock affirme que toute forme de musique, en plus de son éventuel message verbal, véhicule non seulement des émotions, mais «quelque chose qui est de l’ordre de l’indicible et qui est extrêmement profond». Il n’hésite pas à parler d’une dimension spirituelle et mystique de la musique rock.

Cependant, le pasteur avertit : «Il est plus difficile d’adapter le rock aux valeurs de l’Eglise institutionnelle que le blues ou le negro-spiritual. Le rock est né après la Seconde Guerre mondiale, dans une période où les gens allaient mieux et les jeunes voulaient gagner en indépendance en se révoltant contre le système. Le rock est l’expression de cette rébellion sous forme de provocation face aux valeurs traditionnelles.»

C’est sur cette question que vont s’écharper ceux qui pensent que le rock chrétien – à savoir le rock avec des paroles chrétiennes – n’a pas lieu d’être, et ceux qui pensent que le rock peut être transformé en instrument d’évangélisation. Nicolas Charrière est de ceux qui reprochent au rock chrétien de tomber facilement dans le travers d’une musique aseptisée, sans audace : «C’est souvent gentil-joli, le message est lisse et simpliste, et l’ambiguïté qui fait la force du rock est perdue. Cela dit, aucun style de musique n’est a priori inadéquat pour transmettre la foi chrétienne.»

Le rock antichrétien

Le grand récit chrétien, tout comme le grand récit du rock, consiste à «chercher un sens dans l’humain face à ce qui nous déchire intérieurement. Il s’agit d’assumer la vie humaine dans ce qu’elle a de complexe, de beau et de laid». En ce sens, le rock contestataire peut pousser la foi chrétienne à se questionner sur certaines de ses postures intolérantes. Par exemple, les paroles de l’album God hates us all  [fr. Dieu nous hait tous ], du groupe de thrash metal Slayer, critiquent entre autres les positions des chrétiens conservateurs américains.

Seul compte le soin de la composition
Marc Seiler, pasteur, Grandval

OBJECTIVITE  Marc Seiler adopte le point de vue du musicologue. Il analyse la nature même de la musique. A ses yeux, «la musique dit quelque chose d’objectif, quelle que soit la personne qui écoute». Ce spécialiste de la musique de Bach regrette qu’à partir du XIXe siècle en Europe, la musique n’ait plus été un élément constitutif de la vie sociale assumé par les autorités politiques : «Du coup, il fallait plaire à des mécènes, se plier aux attentes faciles du public, et c’est ainsi jusqu’à aujourd’hui.»

Cependant, il estime que le rock a échappé à cette perte de qualité musicale: «L’avantage du rock par rapport à la musique romantique du XIXe siècle, c’est qu’il a retrouvé la basse continue. Dans la musique de Bach, comme dans le rock, il y a une pulsation assumée par la basse continue qui rejoint le rythme de notre pulsation cardiaque.»

Rythme et mélodie

La qualité d’une musique dépend du soin avec lequel les harmonies, les tons, les modes, les mélodies, les paroles et les rythmes sont articulés. Cela vaut tout autant pour la musique classique que pour la musique afro-américaine : «Je pourrais très bien intégrer Genesis ou les Pink Floyd dans un culte car leurs arrangements mélodiques sont riches

«Si je crée une musique basique et simplette, suite de rythmes ou de notes sans mélodie, la musique ne dit rien d’autre que du bruit. Il faut donc distinguer le rock mélodique du rock qui ne contient que la composante rythmique. Je suis très inquiet de l’effet produit notamment par le heavy metal ou pire, par les musiques entièrement électroniques.» Le pasteur conclut par une note théologique : «Si j’ai l’image d’un Dieu grand et qui fait des merveilles, je suis conduit à lui rendre gloire par une musique soigneusement harmonisée, et certaines formes de rock peuvent servir cette mission