Corps en débat

De gauche à droite: Christ ressuscité montrant ses plaies (bois de noyer, 1460-1470); Marcello (Adèle d’Affry) «Ecce Homo» (marbre, 1877); Saint-Sébastien (liant huileux sur bois, vers 1500); Wojtek Klakla, « Non-Binary » (acrylique sur toile, 2021). / © MAHF - Francesco Ragusa/Wojtek Klakla
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De gauche à droite: Christ ressuscité montrant ses plaies (bois de noyer, 1460-1470); Marcello (Adèle d’Affry) «Ecce Homo» (marbre, 1877); Saint-Sébastien (liant huileux sur bois, vers 1500); Wojtek Klakla, « Non-Binary » (acrylique sur toile, 2021).
© MAHF - Francesco Ragusa/Wojtek Klakla

Corps en débat

Confrontation
Une exposition au Musée d’art et d’histoire de Fribourg interroge aussi bien la place du corps dans le christianisme que l’iconographie catholique.

Ville-Etat restée catholique, Fribourg n’a pas connu de période d’iconoclasme durant la Réforme. Ce qui explique que le canton conserve davantage d’œuvres d’art médiéval que d’autres régions de Suisse. C’est dans ce riche patrimoine que pioche l’exposition «Corpus» du Musée d’art et d’histoire (MAH). Elle en tire une exposition qui interroge la place du corps face au sacré. Une discussion enrichie par la confrontation avec plusieurs œuvres d’art contemporain, qui donnent à l’ensemble du parcours un relief piquant.

Ambivalences

Ce qui frappe, c’est le rapport, en permanence ambivalent, du christianisme, en particulier catholique, avec le corps. Le divin s’incarne, mais sa corporéité est toujours mystérieuse.

On pense évidemment à la virginité surnaturelle de Marie, mère de Jésus – représentée en une statue comme une enfant, aux côtés de Jésus, dans les bras de sa mère sainte Anne, qui selon la doctrine catholique a elle aussi conçu Marie en étant «sans tache», c’est-à-dire vierge. Une image qui contraste avec une scène d’accouchement hyperréaliste de Marie, d’une photographe contemporaine, quasi juxtaposée à la statue. Le corps du Christ, même torturé sur la croix, reste, lui aussi dans certaines œuvres, d’une beauté surnaturelle, comme ce Christ ressuscité montrant ses plaies, sculpture en bois du XVe siècle, la beauté physique traduisant une perfection spirituelle. 

Redécouvertes

L’autre intérêt de l’exposition est sa dimension historique: elle permet de redécouvrir des pratiques disparues (et longtemps caricaturées côté protestant) comme l’ingestion d’icônes, consistant à avaler des images de la Vierge au format timbre-poste (XIXe siècle). Ce symbole de protection résonne étrangement dans les formidables portraits en noir et blanc de Fribourgeois·es d’aujourd’hui aux corps tatoués de crucifix ou de Vierges. Et fait aussi écho aux très sombres et graphiques ex-voto du Moyen Age exposés plus loin, rappelant toute la dimension des croyances et de la foi dans les situations de maladie corporelle – et de guérison. L’exposition progresse ici vers la question de la désincarnation et, à travers les reliquaires – spectaculairement mis en scène à Fribourg au XIXe siècle –, elle pose la question du corps sacralisé comme moyen d’accès au divin. Avant de s’achever sur la question de l’extase et de l’évanescence: rencontre physique avec le divin? Ou phénomène purement mystique? Toujours est-il que les représentations de ce «sommet» spirituel sont aussi et toujours dotées d’une incroyable charge érotique.

Une visite assez courte, mais qui balaye des thématiques extrêmement vastes, de l’incarnation au corps dans les pratiques rituelles, de la nudité aux supplices jusqu’au ravissement. Autant de points de départ pour de réjouissantes explorations futures au MAH, qui prévoit prochainement une exposition sur le corps isolé. Des ermites au confinement, les dialogues avec le religieux ne manquent pas…

Infos

Corpus, le corps et le sacré
Jusqu’au 27 février, Musée d’art et d’histoire de Fribourg

Le 10 février, «Le corps, la chair et le sacré», conférence avec Alexandre Jollien, philosophe.
Le 24 février, «Le diable, son bestiaire et ses couleurs, Xe-XIIe siècle», avec Michel Pastoureau, historien.
Le 27 février, «Last minute!». Dernière visite guidée avec Caroline Schuster-Cordone, curatrice.