La spiritualité prend un coup de jeune

© Tony / Réformés - Le Journal
i
© Tony / Réformés - Le Journal

La spiritualité prend un coup de jeune

Ils ont choisi de s’engager dans l'Eglise, au terme du catéchisme. Pour vivre leur spiritualité, les jeunes réformés romands n’hésitent pas à se créer, en marge de la tradition, un espace de partage qui leur ressemble. Tour d’horizon de ce qui les motive à rester dans l’Eglise.

L’émotion est le point de départ. Ils se sont sentis faire partie d’un groupe. Ils ont partagé leurs questionnements les plus intimes, échangé sur leurs valeurs et ils se sont sentis écoutés. Ces ressentis, nombre de jeunes réformés romands les ont vécus lors d’un camp de catéchisme. L’expérience les a marqués dans leur parcours d’adolescents. Ils ne l’ont pas retrouvée ailleurs. C’est donc au sein de l’Eglise que, devenus jeunes adultes, ils ont décidé de s’engager et de recréer à leur manière un espace qui leur ressemble.

Ils sont tous empreints de tradition réformée et partagent une foi com-mune. Pourtant, parmi les raisons de leur engagement, le religieux apparaît au second plan. Et c’est bien l’ambiance conviviale gorgée de rigolades qui fait mouche. «Petite, je participais au culte de l’enfance, sans avoir envie d’y aller. Au camp de catéchisme, j’ai rencontré des jeunes qui s’amusaient, qui faisaient du sport, parlaient de leurs valeurs, de leur vie, sans que soient directement nommés Jésus ou la Bible», explique Orlane, une Vaudoise de 18 ans, qui vient de suivre sa deuxième formation Jack.

Un espace de parole privilégié

Ce sont les accompagnants eux-mêmes qui transmettent ce plaisir d’être ensemble. «Ils n’étaient pas beaucoup plus vieux que moi. Je les admirais, je voulais être comme eux, j’enviais cette connexion qui les reliait. En devenant JACK, je désirais à mon tour partager avec d’autres ce qu’ils ont partagé avec moi», raconte Astrid, une Vaudoise de 20 ans, JACK et responsable du groupe de jeunes de sa paroisse. La légèreté de l’ambiance décrite rappelle ce qui se vit dans tous les camps, même à mille lieues de la religion. A la différence près que la franche camaraderie se mêle à des discussions sérieuses. «Ce sont deux dynamiques propices à l’ouverture à l’autre et au développement de soi. Nous sommes aimés de toute manière, c’est le message chrétien, et cela nous pousse à nous ouvrir aux autres et à partager, ajoute Astrid. Les camps sont thématiques et, à partir d’activités ludiques, peut naître le débat. Nous organisons aussi des “cellules , ce sont des petits groupes par sexe où les filles et les garçons sont séparés et dans lesquels il y a une grande liberté de parole et une totale confidentialité. Ce cadre sécurisant et respectueux, l’intégration de chacun, je ne l’ai jamais vus ailleurs.»

Etre accepté tel qu’on est, dans une période de transition vers l’âge adulte, est essentiel. C’est la raison qui a poussé Adrien, 18 ans, à se tourner vers le Réseau des jeunes de la paroisse de Bienne. «Les amitiés nouées sont fortes. Des relations de confiance s'installent et permettent d’avoir des discussions plus personnelles, de partager librement sur sa sphère intime et de parler de sa foi sans tabou », explique Charline, une Juras- sienne de 23 ans à l’origine du groupe de jeunes de sa paroisse.

Se faire une place

«L’Eglise, ce ne sont pas des vieux qui enseignent à des jeunes. Il y a aussi des jeunes qui parlent à des jeunes. Si j’accompagne notamment des camps de catéchisme aujourd’hui, c’est aussi pour lutter contre cet a priori qui me dérange», affirme Astrid.

Le constat est unanime, il y a peu d'espace pour les jeunes dans l’Eglise. «On doit se faire une place, alors même que ça n’est déjà pas facile d’en trouver une en tant que jeune dans la société d’aujourd’hui», ajoute la Vaudoise. «J’ai l’impression qu’en Eglise, il faut parler de Jésus ou de la Bible pour partager quelque chose de sa foi. Pour ma part, j’ai du mal à exprimer ma foi publiquement. Cela ne fait pas pour autant de moi une personne moins croyante», détaille-t-elle.

Daniel Witmer à 20 ans, il habite le canton de Neuchâtel. Il a suivi la formation d’accompagnant de camp, après son catéchisme, et se définit comme non croyant. «J’étais pourtant parfaitement à ma place. Dans ces camps, j’ai trouvé un espace où m’exprimer et trouver des réponses.»

Des activités à leur image

A les écouter, on pourrait croire que ces jeunes n’ont besoin de personne. Les pasteurs, dans l’ombre, restent pourtant un soutien de poids dans la création de projets, bien que ces jeunes soient souvent persuadés d’être les plus à même de cerner les besoins de leur génération.

A Genève, Chloé, 22 ans, fait partie du comité du Lab, un espace où échanger sur ses questions existentielles et spirituelles de 18 à 45 ans, ouvert à tous. «J’ai fait mon catéchisme avec peu de sérieux. Mes questionnements sont venus après et j’ai voulu suivre des études bibliques. Un pasteur m’a dirigée vers le Lab, où je pouvais non seulement participer, mais aussi proposer et créer quelque chose pour les jeunes.» Depuis 2015, parmi d’autres, des célébrations interactives et des soirées de discussions s’organisent au centre- ville. «Le contenu évolue sans cesse pour répondre aux besoins spirituels des jeunes qui sont présents mais qui ne se retrouvent plus dans une Eglise perçue comme trop traditionnelle», commente la jeune femme.

Le programme du Réseau de jeunes de Bienne, comme celui du groupe de jeunes de Charline, dans le Jura, émane des envies de ses membres. Les activités sont sportives, musicales, ludiques ou réflexives, parfois bien détachées de l’Eglise, qu’importe: «C’est avant tout le partage qui est primordial», avoue Adrien. «Nos soirées spirituelles en présence d’un intervenant externe et en lien avec l’actualité sont le seul moment où un pasteur intervient directement dans nos activités», précise Charline. Dernièrement, ils ont organisé un "homecamp" à la Maison de paroisse de Delémont. Le principe: y séjourner une semaine, vaquer à ses activités la journée et se retrouver le soir pour partager le repas et la soirée ensemble. Les deux premières éditions sont un succès.

Du pain sur la planche

Ces jeunes «s’éclatent» à l’Eglise, on le décèle au sourire sur leur visage. Ils se sentent pourtant encore en marge du reste des activités ecclésiales. Et le culte est la barrière la plus visible de ce décalage. Les jeunes chérissent le partage et déplorent le monologue du ministre en chair. L’horaire matinal ne correspond pas non plus à leur rythme de vie. On rêve de ministres plus dynamiques, de paroles plus actuelles et de problématiques qui collent à leur réalité, et d’un service le dimanche en soirée. On souligne surtout la difficile intégration de la jeunesse distancée néanmoins intéressée.

(Collaboration Nicolas Meyer)