Les consistoires, tribunaux protestants méconnus

Christian Grosse et un extrait du Consistoire du Brassus / © UNIL/CG
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Christian Grosse et un extrait du Consistoire du Brassus
© UNIL/CG

Les consistoires, tribunaux protestants méconnus

Trésor
Durant deux siècles, les consistoires protestants de Suisse romande ont contribué à façonner nos sociétés. Un inventaire inédit des registres de ces tribunaux ecclésiastiques permet de mieux cerner leur rôle.

C’est un trésor que Christian Grosse, professeur ordinaire d’histoire et d’anthropologie des christianismes modernes à l’Université de Lausanne, a mis à jour avec son équipe: près de 700 registres des consistoires réformés de Suisse romande. Ces tribunaux religieux sont chargés entre le XVIe et le XVIIIe siècle de la surveillance et de la correction des croyances et des comportements. Si les registres du Consistoire de Genève du temps de Calvin sont depuis longtemps étudiés, édités et traduits, une grande partie, notamment les registres vaudois, n’avaient jamais été recensés. Le travail des chercheurs ouvre la voie à des recherches futures. 

En quoi consistait le rôle d’un consistoire?

Un tribunal, dont la composition pouvait varier selon les régimes (rôle plus important des pasteurs à Genève, des magistrats à Berne). Les pasteurs y siègent avec des assesseurs laïcs qu’on appelle «anciens». Cas unique, découvert par notre inventaire: à Echallens, bailliage commun à Berne et Fribourg, le curé siégeait aussi au consistoire. Cela fait partie de ces modalités d’accommodement propres aux lieux de coexistence confessionnelle. Cette justice mixte à prédominance religieuse doit au départ s’assurer que les populations soumises au nouveau régime réformé adhèrent au dogme protestant.

On pense directement à l’inquisition catholique…

Effectivement, mais les consistoires réformés n’ont jamais torturé ni prononcé de peines capitales! Ils ont pu instruire des affaires de sorcellerie, mais la condamnation des sorcières s’est faite par un tribunal pénal. 

Quelle est la contribution des consistoires à la justice civile?

Les consistoires sont absolument centraux pour tout ce qui concerne les conduites religieuses et sexuelles: ce sont les instances de répression principales, mais aussi de correction. Car un tiers de leur activité s’apparente à de la pacification sociale: c’est de la médiation. Ils convoquent (et on peut dénoncer auprès d’eux) les couples ou voisins en conflit, ou encore des maris ivrognes, par exemple. Leur justice est souvent sollicitée par les femmes, d’ailleurs. Gratuite ou peu coûteuse, elle est basée sur le droit coutumier, et peut faire appel à des procédures de conciliation, avec arbitres et surarbitres.

Quelle est leur base théologique?

L’idée, c’est qu’une communauté religieuse ne peut se présenter à la communion qu’en tant que communauté unie, sur le plan de la foi et sans tensions internes. Parmi les sanctions, il y a les exhortations et remontrances, mais surtout la suspension de la cène, qui entraîne un ostracisme très fort et implique parfois de faire acte de repentance publique (pendant un culte). Enfin, l’exclusion de l’Eglise (excommunication) pouvait se pratiquer, mais ce sont des cas rares, souvent des aveux d’échecs (lorsqu’une protestante épousait un catholique par exemple).

Quel héritage ont laissé ces consistoires?

Ils ont disparu ou se sont transformés progressivement avec la fin de l’Ancien Régime. Mais leur travail a produit une homogénéisation, une collaboration étroite des institutions de l’Etat et de l’Eglise pour produire un contrôle étroit sur les populations et les territoires, qui soumet fidèles et citoyens. Une uniformisation idéologique, en résumé!