
Guerre des talents chez les pasteurs
On dit que le mieux est l’ennemi du bien. Cet ancestral proverbe pourrait s’appliquer à la politique salariale de l’Église évangélique réformée du canton de Neuchâtel (EREN). Depuis vingt ans, l’égalité totale prévaut : pasteurs, diacres et permanents laïques touchent le même salaire. C’est une spécificité neuchâteloise, une rareté. Cet état de fait résulte d’une vision spirituelle et communautaire du ministère, inspirée par l’image biblique du corps et de ses membres (1 Co 12).
Cependant, l’application de ce beau principe génère des écarts de rémunération importants par rapport à d’autres Églises réformées romandes, ce qui nuit à l’attractivité de l’EREN. Actuellement, le corps ministériel de l’EREN perçoit un salaire pouvant être inférieur de 50'000 francs brut par an à celui qui est offert par d’autres Églises cantonales. « Si les diacres bénéficient d’une rémunération proche de celle de leurs homologues dans d’autres cantons, les pasteurs, en revanche, se retrouvent en deçà des salaires pratiqués ailleurs, quand bien même ce ministère exige une formation universitaire complète et un niveau élevé de responsabilité théologique et pastorale. On touche ici à une limite de l’égalité salariale », a expliqué Yves Bourquin, président du Conseil Synodal.
Attractivité menacée
Ces différences pèsent lourdement sur la capacité de l’EREN à recruter et à retenir ses ministres. « Dans un contexte de pénurie vocationnelle, où toutes les Églises protestantes de Suisse se disputent un nombre décroissant de personnes formées, la capacité à offrir des conditions attractives est un enjeu de survie institutionnelle », lit-on dans le rapport préparatoire du Conseil synodal. Autre effet de distorsion : la grille salariale unique fait abstraction du fait que les fonctions ministérielles ne posent pas toutes les mêmes contraintes (par exemple, travail hors des heures de bureau, responsabilité lors de camps).
« La question touche à l’attractivité de l’EREN, à la définition des ministères, à notre ecclésiologie et même à notre politique immobilière », a déclaré Yves Bourquin. Une autre particularité neuchâteloise complexifie en effet le problème : l’attribution de logements de fonction pour le personnel (typiquement, les pasteurs engagés à 50% au moins). Cet avantage en nature est censé constituer un incitatif, mais il n’atteint pas toujours son but, car les gens sont devenus plus mobiles ; ils ne sont plus aussi attachés à un lieu de domicile précis. « Dans la pratique, certains en profitent, d’autres ont l’impression de le subir », constate Yves Bourquin. On trouve, par exemple, une famille monoparentale résidant dans une cure avec un jardin de 1’500 m² à entretenir.
Quadrature du cercle
Au surplus, l’EREN est confrontée à la nécessité impérative d’augmenter les recettes de son parc immobilier, pour des raisons matérielles évidentes ; les logements des cures et immeubles doivent pouvoir être loués au prix du marché – ce que le système actuel l’empêche de faire. Bien souvent, les appartements de fonction inoccupés ne peuvent être loués qu’avec un bail limité, puisqu’ils doivent pouvoir être remis rapidement à la disposition d’un pasteur si besoin. D’où des pertes financières « considérables », selon le rapport.
Comment augmenter le pouvoir d’achat des pasteurs et des diacres tout en tenant compte des spécificités des fonctions et des missions, de la particularité des situations personnelles, ainsi que des limites financières de l’Église ? Les débats ont été nourris. On sentait, dans certaines interventions en faveur du maintien de la grille unique, que les valeurs de dévotion et détachement matériel liées à la vocation pastorale sont encore bien ancrées dans la communauté pastorale. Ce à quoi d’autres ont répondu que les pasteurs ne roulent tout de même pas sur l’or. La question de la valorisation des diplômes a également été amenée sur le tapis. « Il ne faut pas oublier que nous avons avant tout besoin de talents. Et les talents se reconnaissent surtout à leur savoir-être », a tenu à faire remarquer Jean Messerli, membre du Conseil synodal.
Gel provisoire
Au final, les délégués ont chargé le Conseil synodal de rédiger, d’ici 2027, un rapport proposant un nouveau système de rémunération abandonnant la grille unique. Dans l’immédiat, un moratoire sur l’octroi de nouveaux logements de fonction sera instauré entre le 1er janvier 2026 et le 31 décembre 2027. Les demandes adressées durant cette période feront l’objet de mesures transitoires et conditionnées. Enfin, le Conseil synodal devra préparer, pour la session de juin 2027, un rapport sur la politique des logements de fonction.
Ce dossier clos, les délégués ont pu se pencher sur la question du maintien de l’adhésion de l’EREN à la CEVAA, Communauté d’Églises en mission fonctionnant comme une plateforme d’échange pour ses 35 Églises membres dans 25 pays. Jusqu’ici, les liens institutionnels et financiers avec l’EREN ont toujours transité par l’organisation Dynamique en mission (DM). Or, en 2023, cette organisation a annoncé qu’elle ne pouvait plus continuer à financer la CEVAA pour le compte des Églises romandes, qui ont été appelées à se positionner de manière autonome. Pour sa part, l’EREN a décidé de rester membre statutaire. Son Conseil synodal est chargé de plancher sur une solution de financement via un fonds Tiers Monde, dans un rapport attendu pour décembre 2026.
Enfin, le Synode a adopté le budget 2026 prévoyant un déficit de 1,05 million de francs, soit légèrement moins qu’en 2025. Cette amélioration est principalement due à une légère stabilisation de la contribution ecclésiastique et aux premiers effets de l’adaptation des postes voulue par le Conseil synodal. Les autres dépenses sont maîtrisées.

