Quand la presse religieuse se la joue grande résistante

Presse religieuse, avril 2019 / Protestinfo
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Presse religieuse, avril 2019
Protestinfo

Quand la presse religieuse se la joue grande résistante

Ce samedi, le groupe de presse de sensibilité évangélique Alliance Presse fête ses 30 ans d’existence. Comment comprendre pareille pérennité alors que des titres comme «L’Hebdo» et «Le Matin» ont disparu des kiosques romands? Éclairage avec Philippe Amez-Droz, économiste des médias à l’Université de Genève.

Samedi 27 avril, le groupe de presse franco-suisse Alliance Presse, basé à Aubonne, fêtera ses 30 ans d’existence en compagnie de ses lecteurs. Bien que totalement indépendante, l’entreprise se targue de publier pas moins de sept titres différents, à savoir le magazine d’actualité Christianisme Aujourd’hui, la revue féminine SpirituElles, mais encore Family pour les parents, Just4U pour les ados, Trampoline et Tom & Carotte  pour les plus petits (8-12 ans, 4-9 ans) et enfin le tabloïd grand public Quart d’Heure pour l’essentiel, distribué gratuitement quatre fois par année.

En matière de presse religieuse, la Suisse romande compte encore de nombreux titres, comme les revues catholiques Choisir et L’écho magazine, le protestant Réformés ou encore le trimestriel juif Hayom. Une telle offre ne peut manquer d’interpeller au vu des difficultés mortifères que connaît depuis quelques années la presse romande, des concentrations de rédactions aux disparitions de titres notoires. De quelle exception la presse religieuse jouit-elle exactement? Éclairage avec Philippe Amez-Droz, spécialiste des médias à l’Université de Genève et auteur de Médias suisses à l’ère numérique (Ed. PPUR, avril 2019).

Comment vous expliquez-vous le maintien d'une presse religieuse si riche en Suisse romande, alors que des titres aussi solides que «L'Hebdo» ou «Le Matin» version papier ont disparu?

Il existe des raisons historiques liées à la diversité territoriale des institutions religieuses, notamment catholiques et protestantes. Les Églises ont longtemps considéré l'évangélisation, voire le prosélytisme, comme l'une de leurs missions – ce qui justifiait la dissémination de l'Évangile par le moyen de propagande le plus éprouvé: la presse.

Celle-ci a évolué dans sa périodicité, car à l'image de la presse d'information générale, la presse religieuse a connu des difficultés similaires: taux d'abonnement payant en recul, annonces publicitaires rares, voire inexistantes. Le subventionnement complet est dès lors le reflet d'un engagement éditorial, ce qui n'exclut pas les réductions de coûts avec des équipes réduites et une baisse de la pagination.

Et en comparaison avec la presse généraliste?

En tant qu'économiste des médias, je ne comparerais pas la presse religieuse, spécialisée, et la presse d'information, généraliste, car elles ne visent pas les mêmes objectifs. La rentabilité est indispensable pour la pérennité de la seconde et, lorsque les déficits sont structurels, les titres disparaissent. Ce n'est pas nécessairement le cas pour une presse engagée. La communauté des fidèles et la volonté des directions de ne pas appliquer les mêmes critères ou objectifs de rentabilité représentent alors une force pour ce genre de presse. Ce qui n'exclut évidemment pas une gestion rigoureuse et parcimonieuse.

«La volonté des directions de ne pas appliquer les mêmes critères ou objectifs de rentabilité constitue une force pour la presse religieuse»
Philippe Amez-Droz, économiste des médias à l'Université de Genève

Que peut-on dire de son mode de financement précisément?

Le financement des organes d'information spécialisés, comme le sont les médias d'inspiration religieuse, provient en premier lieu d'un poste spécifique dans le budget de fonctionnement des Églises. C'est le meilleur moyen de leur garantir une pérennité, même si cela n'exclut nullement des périodes de restriction budgétaire en lien avec les difficultés des institutions religieuses qui perdent des donateurs et ne peuvent facturer, comme une entreprise, les services à leurs communautés.

Le groupe Alliance Presse n'est pas financé par les Églises... Comment comprendre alors qu'il puisse économiquement fonctionner?

Il est certain que les Églises évangéliques ont une capacité de lever des fonds qui reflètent leur prosélytisme et aptitude à répondre à certains besoins de leur communauté. Il ne fait pas de doute que les dons des particuliers s’inscrivent dans ce contexte d’engagement au sein d’une communauté de croyants actifs et solidaires. Qu’elle soit ou non indépendante, à terme, la presse religieuse est condamnée à gagner en autonomie et devrait offrir diverses prestations ou services autres que purement éditoriaux, via une plateforme numérique, selon un modèle économique ouvert, partiellement gratuit, mais n'excluant pas des formules payantes.

Que dire du lectorat de la presse religieuse? Est-il plus engagé également, donc plus à même d'accepter de payer pour de l'info?

Le problème est similaire à la presse d'information générale: le nombre de personnes qui paient ou sont prêtes à payer décroît du fait de la gratuité apparente des contenus en ligne. Il est aussi difficile de convaincre les jeunes générations nées avec Internet de consentir à payer pour ce type de contenus. Il faudrait réfléchir à d'autres prestations, toujours via des applications, comme des contenus à valeur ajoutée dans le domaine du conseil ou de l'insertion sociétale, pour qu'un effort soit consenti.

Quel rôle cette presse a-t-elle et doit-elle ou non jouer, à votre avis, dans l'espace public?

C'est une question importante, car si l'on considère les réseaux sociaux, l'évolution de nos sociétés occidentales favorise le communautarisme et l'isolement dans un entre-soi propice à la dissémination des fake news, de l'intolérance, voire du rejet de l'Autre. Le journalisme tels que pratiqué dans les principaux organes religieux de Suisse s'inscrit – Dieu merci, si j'ose dire – dans un esprit d'ouverture et d'explication des enjeux sociétaux d'un monde bousculé par la digitalisation. L'espace public que ces organes de presse spécialisés décrivent permet de créer du lien, donner du sens et favoriser les échanges entre les différents communautés. Cette agora est nécessairement œcuménique.