Seuls les faux dieux nous rendent intolérants

La Coordination des organisations islamiques suisses (CIOS) organise une rencontre sur les droits de l'homme / IStock
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La Coordination des organisations islamiques suisses (CIOS) organise une rencontre sur les droits de l'homme
IStock

Seuls les faux dieux nous rendent intolérants

Francesca Sacco
10 décembre 2021
La Coordination des organisations islamiques suisses (CIOS) poursuit son œuvre de pacification religieuse en organisant cet après-midi du 10 décembre, à Berne, un meeting international sur l’universalité des droits de l’homme.

«C'est probablement la première fois qu'une organisation islamique invite des représentants des autorités, du monde universitaire, de la diplomatie et des médias à discuter ouvertement de la crise actuelle des droits de l'homme», affirme le sociologue Farhad Afshar, président de la Coordination des organisations islamiques suisses (CIOS).

Plus ancienne faîtière des organisations islamiques suisses – elle a été fondée en 1978 –, la CIOS a organisé depuis le début de l’année une quantité d’événements sur des sujets d’actualité comme la radicalisation religieuse, l’islamophobie et l’intégration des musulmans. Après avoir abordé, entre autres, le vivre-ensemble dans les religions, la dérive sémantique du discours extrémiste et la littérature en tant qu’instrument de prévention de la radicalisation, la voici qui se propose d’aborder la question des droits de l’homme en regard de la politisation des religions.

Experts internationaux

Ces manifestations ont jusqu’ici attiré du beau monde – les députés vaudois Olivier Français et Jacqueline de Quattro, le municipal lausannois Pierre-Antoine Hildbrand, le délégué du Réseau national de sécurité au sein de la Confédération André Duvilard, notamment – et ce sera encore le cas du meeting international de ce vendredi. On annonce la participation d’une brochette d’experts internationaux: le président de la Fondation de l’islam de France Ghaleb Bencheikh El Hocine; l’avocate et présidente de la Fédération des Barreaux d’Europe Dominique Attias; le juriste et politologue Wolf Linder; le géopoliticien Emmanuel Dupuy; l’ancien ministre et diplomate tunisien Hatem Ben Salem; la présidente de l'Amitié Inter Religieuse (AIR) Samia Selmani, seule femme française nommée «consultante du fait religieux» par le Ministère de la justice; et enfin la secrétaire générale de l’Association internationale arabe de sociologie Dolly Sarraf.

Universalité des Droits de l’homme

Interrogé par téléphone sur le message principal de cette rencontre, Hatem Ben Salem explique: «Il nous importe de rappeler le caractère universel des droits de l’homme, car ils représentent des valeurs humaines qui sont l’apanage ou la propriété de tous les êtres humains, indépendamment de leur appartenance religieuse, ethnique et politique. De ce fait, ils doivent être acceptés de tous et rester exempts de toute influence politique», affirme-t-il. Et de poursuivre: «On mesure ici le rôle clé de la laïcité pour faire reconnaître la nécessaire neutralité, l’universalité et la primauté de ces droits fondamentaux. Il y a des efforts à faire en ce sens dans l’éducation de nos enfants, pour qu’ils comprennent que nous sommes avant tout des êtres humains et qu’il n’existe en réalité qu’une seule civilisation. Nous savons en effet que les régimes autoritaires s’appuient sur la destruction des droits humains. Idéalement, ces droits devraient être revendiqués par toutes les religions, puisqu’ils sont une expression de la foi.» En résumé, quand les textes sacrés disent qu’il n’y a qu’un seul Dieu, il faut lire: il n’y a qu’un seul Dieu d’amour, les faux dieux sont ceux qui nous rendent intolérants.

Influences religieuses instables

Emmanuel Dupuy, président de l’Institut prospective et sécurité en Europe – un think tank spécialisé sur les questions de défense et de sécurité – observe pour sa part plusieurs phénomènes. Tout d’abord, les religions exercent une influence excessive dans les processus décisionnels des sociétés, qu’elles soient musulmanes, chrétiennes ou juives. Depuis le début du nouveau siècle, certaines valeurs cardinales comme l’égalitarisme et la solidarité sont mises à mal par la politisation des religions, des cultures et des principes socio-économiques. Le fondement même de notre démocratie, le Pacte social, par lequel les individus subordonnent volontairement leurs intérêts personnels au bien commun, est attaqué. En outre, dans nos sociétés modernes, pointe-t-il encore, l’appartenance religieuse ne constitue plus vraiment un repère identifiant; elle n’opère donc, en quelque sorte, plus que par substitution et d’une manière qui peut faire d’elle un obstacle à la paix et à la stabilité, alors que sa vocation est d’être un facteur de médiation.

«Le défi consiste à engager le dialogue avec ceux qui ne reconnaissent pas les mêmes principes idéologiques pour trouver une grammaire commune», déclare le géopoliticien. Concrètement, cela pourrait passer par ce qu’il appelle la «polymultipolarité», c’est-à-dire l’inclusion dans les relations internationales, les organisations intergouvernementales, l’Organisation des Nations unies (ONU) et l’Union européenne, d’acteurs «périphériques» comme des représentants de la société civile.

Instrumentalisation politique et religieuse

«Dans de nombreux pays, les droits humains ne sont pas encore acquis et, dans les autres régions du monde, il faut continuer à se battre pour les faire respecter et en jouir pleinement, car comme toute philosophie humaniste, ils peuvent être domestiqués et instrumentalisés par des idées politiques ou religieuses», ajoute Ghaleb Bencheikh Hocine, qui en appelle à  «rester vigilant». Et de préciser que les Droits de l’homme étant indépendants de toute appartenance confessionnelle, «il n’y a pas lieu de parler de charte islamique des Droits de l’homme». Pour rappel, la Déclaration des droits de l'homme en islam est une adaptation de la Déclaration universelle des droits de l'homme aux pays musulmans, adoptée au Caire le 5 août 1990 par l'Organisation de la coopération islamique et ratifiée par 57 États.