Elsa et Sarah: même combat
Propos recueillis par Pierre Alain Heubi, La VP Berne-Jura-Neuchâtel
«Je ne me sens pas prête à couvrir mes cheveux. » Sarah, 19 ans, Algérienne, née en Suisse. En dernière année d’Ecole de commerce à La Neuveville. Elle pratique l’islam mais a renoncé à porter le voile.
La VP : Tes parents t’ont-ils demandé de porter le voile?
Sarah : «Bien que le voile soit obligatoire pour notre religion, mon père m’a donné le choix. J’ai la chance d’avoir eu des parents qui m’ont comprise. Je n’ai jamais porté le voile. Je ne me sens pas prête à couvrir mes cheveux. Cela me limiterait aussi professionnellement.
La VP : Penses-tu que les filles de ton âge qui le portent le font par obligation?
S. : Difficile à dire. Aucune fille ne va affirmer: «Oui, j’ai été forcée.» Bien sûr, à 7 ans, la petite fille qui le porte le fait parce que ses parents le lui demandent, comme n’importe quel enfant doit accepter le cadre qu’on lui donne. Pour elles, c’est dur au début. Puis elles s’habituent à le porter.
La VP : Le fait de porter ou de ne pas porter le voile crée-t-il des clans, des tensions entre les jeunes musulmanes?
S. : Absolument pas. Le voile n’est pas une barrière. Moi je vois la personnalité, ce qu’il y a à l’intérieur. Pas ce qui est à l’extérieur. C’est valable pour tous les looks. Comme on dit souvent: «L’habit ne fait pas le moine!»
La VP : Certains musulmans te font-ils parfois des remarques à propos de tes cheveux?
S. : Quand je marche dans la rue avec une amie qui porte le foulard et que nous croisons des musulmans plutôt stricts, ils vont lui dire «Mach’Allah!» – «c’est la volonté de Dieu» (n.d.l.r.). Et à moi: rien. Il y a des préjugés. Beaucoup pensent que seules les filles voilées sont de bonnes pratiquantes, mais je connais plein de filles qui, comme moi, pratiquent les cinq prières et suivent le ramadan.
La VP : A ton avis, d’où est venue l’ouverture de tes parents?
S. : Mon père, aujourd’hui décédé, a vécu et travaillé en Suisse durant 40 ans. Je suis donc née ici. Je pense que ça a joué un très grand rôle.
«Je n’étais pas rebelle, juste la première »
«Il est strictement interdit à la femme de porter les cheveux courts, car sa chevelure est sa parure» entendait-on prêcher. Les femmes mennonites disposaient donc de deux coupes autorisées: le chignon pour les adultes et les tresses pour les filles.
" En 1953, quand je commence mon apprentissage à la Cortébert Watch&Co, je me sens ridicule avec mes tresses. Je demande à mes parents: pourquoi doit-on être différents? Mon père, très engagé dans la communauté, et ma mère refusent que je me fasse couper les cheveux."
"Je pose alors la même question à mon grand-père, Charles Ummel, qui est alors président de l’assemblée des Bulles. Après m’avoir écoutée, il me dit: «Fais selon ta conscience, Elsa.» Cette réponse surprend mes parents qui acceptent mon désir. Ils m’ont même payé ma première permanente, le top de la mode à l’époque!"
"Quand je me rends à la chapelle, le dimanche suivant, je n’ai pas trop d’appréhension. Ma nuque dégagée n’a-t-elle pas été agréée par mon grand-père? Je ne m’attends pas à passer un très mauvais quart d’heure: depuis l’estrade, un prédicateur allemand de passage me pointe du doigt: «C’est un péché qu’une femme coupe ses cheveux!» lance-t-il. J’ai honte qu’on me remarque. Je n’étais pas rebelle, juste la première. Après le culte, toutes les jeunes filles de la communauté viennent vers moi en signe silencieux de solidarité. La même année, toutes ont coupé leurs cheveux!"
"Quand j’y repense, je trouve que les mennonites étaient durs. Ma conception de Dieu, de la religion, a beaucoup changé depuis. Je tire mon chapeau à Charly Ummel, le fils de mon grand-père, qui a énormément œuvré à l’ouverture du mouvement."