Voter, un devoir sacré pour les Églises américaines

Aux Etats-Unis, des Eglises mettent à disposition leurs lieux pour faciliter l'accès au vote dans les quartiers pauvres. / RNS / AP
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Aux Etats-Unis, des Eglises mettent à disposition leurs lieux pour faciliter l'accès au vote dans les quartiers pauvres.
RNS / AP

Voter, un devoir sacré pour les Églises américaines

Noémie Taylor-Rosner, Réforme
29 octobre 2020
Aux États-Unis, des milliers d’Églises se mobilisent pour encourager les électeurs à participer à l’élection présidentielle du 3 novembre. Celles-ci sont particulièrement actives auprès des minorités, comme les Afro-Américains, les prisonniers ou les encore SDF, pour qui l’accès au vote relève parfois du parcours du combattant.

Voilà des mois que la pasteure Susan Russell et ses fidèles préparent religieusement le scrutin du 3 novembre : fin octobre, leur église épiscopalienne située au cœur de la ville de Pasadena, en Californie, se transformera en bureau de vote. Plusieurs membres de la congrégation se sont même portés volontaires pour servir d’assesseurs afin de permettre à plusieurs centaines d’habitants du quartier de voter. 

Parmi eux, des personnes sans-abri pour lesquelles le vote par correspondance est compliqué puisqu’elles n’ont souvent pas d’adresse fixe. «Lorsqu’ils souhaitent participer au scrutin, les obstacles que rencontrent les SDF sont considérables», souligne le révérend ­Russell. «Nous avons donc essayé d’éliminer certains de ces blocages en aidant les sans-logis de notre quartier à s’inscrire sur les listes électorales.» Les personnes sans-abri ont notamment pu s’enregistrer en toute légalité en inscrivant l’adresse de l’église All Saints comme leur lieu de résidence.

Des Églises profondément citoyennes

Cette année, l’État de Californie a fortement diminué le nombre de bureaux de vote ouverts le jour du ­scrutin pour encourager le vote par correspondance – afin de faciliter le dépouillement. Plusieurs organisations religieuses comme All Saints se sont donc portées volontaires auprès du comté de Los Angeles pour ouvrir des bureaux officiels quelques jours avant les élections, afin de permettre aux habitants de leurs quartiers qui ont besoin de voter en personne de pouvoir participer au scrutin. «Nous voulions aussi nous assurer que ceux qui n’ont pas accès à des moyens de transport ou qui n’ont pas de ressources pour se déplacer puissent voter en le faisant dans leur quartier», précise le révérend Russell. 

La congrégation de cette église épiscopalienne est considérée comme un modèle d’engagement civique aux États‑Unis depuis près d’un siècle. Dans les années 1960, l’un de ses prédécesseurs, le pasteur John Burt, proche de Martin Luther King, avait aidé à organiser des manifestations massives pour les droits civiques à Los Angeles, qui avaient alors rassemblé des dizaines de milliers de personnes. Les pasteurs d’All Saints continuent de porter cette tradition aujourd’hui. En plus d’encourager la participation des SDF au scrutin du 3 novembre, l’Église s’est aussi engagée à ce que 100% de ses membres effectuent leur devoir civique.

Des centaines d’autres congrégations religieuses – églises, synagogues et mosquées – à travers les États-Unis se sont également donné ce défi. «Cela fait des mois que nous informons et ­mobilisons nos fidèles pour qu’ils promettent de s’inscrire sur les listes électorales et qu’ils aillent voter», explique Susan Russell. Comme c’est la tradition dans de nombreuses Églises à travers le pays, All Saints a aussi organisé plusieurs forums pour débattre des diverses mesures référendaires sur lesquelles s’exprimeront les Californiens le 3 novembre prochain, en même temps qu’ils choisiront un nouveau président.

Les fidèles se sont notamment penchés sur le financement de la recherche sur les cellules-souches, la re-qualification en salariés des travailleurs indépendants du géant des VTC Uber, ou encore la restauration du droit de vote des anciens détenus en liberté conditionnelle. Après avoir rempli leurs bulletins, les membres de la congrégation sont allés voter collectivement. 

Voter comme on communie

«Nous avons marché tous ensemble de l’église jusqu’à la mairie de Pasadena pour déposer nos bulletins dans une boîte de dépôt. C’était formidable de pouvoir voter tous ensemble, en tant que communauté», raconte Juliana Serrano, une fidèle très active au sein de l’Église. «Le pasteur Russell a même béni la boîte de dépôt et tous nos bulletins à l’intérieur», explique-t-elle, enthousiaste.

«En tant qu’épiscopaliens, nous cherchons à vivre au quotidien la promesse que nous faisons en entrant dans ­l’Alliance par le baptême: lutter pour la justice et la paix entre tous et respecter la dignité de chaque être humain», rappelle la pasteure Susan Russell. «Le fait de voter est donc à la fois un privilège et une responsabilité. L’appel de Jésus à aimer notre prochain comme nous-même est véritablement mis en action lorsque nous votons en faveur d’un candidat ou d’initiatives portant les valeurs d’amour, de justice et de compassion.»

Aux États-Unis, les Églises ont toujours encouragé la participation électorale à l’approche des élections. Mais cette année, les enjeux du vote sont décuplés par la pandémie qui perturbe l’organisation du scrutin et le discrédit jeté par Donald Trump sur le vote par correspondance, qu’il accuse d’être frauduleux. La mobilisation des Églises a elle-même été freinée par la crise du Covid-19, notamment au sein des quartiers majoritairement afro-américains, où les habitants sont trois fois plus touchés par le virus que ceux des quartiers blancs. 

L’enjeu du vote noir

Les Églises noires comptent historiquement parmi les plus actives des États-Unis en matière de mobilisation électorale, car beaucoup cherchent à lutter contre les multiples barrières que rencontrent les Afro-Américains au moment de voter. Dans les États conservateurs du Sud du pays comme le Texas, l’Arizona ou la Géorgie, les démocrates accusent les républicains d’avoir mis en place des règles électorales qui visent à exclure les minorités du processus électoral. Dans l’Alabama par exemple, les électeurs doivent obligatoirement présenter une carte d’identité pour pouvoir voter. La majorité des Américains présentent généralement un permis de conduire, une pièce d’identité dont sont dépourvus un quart des Noirs américains contre seulement 8% des Blancs.

«Les républicains savent très bien qu’ils ne peuvent pas gagner si tout le monde vote. Ils ont terriblement peur des pauvres et tout particulièrement des Noirs et des Latinos issus de milieux défavorisés», estimait récemment le révérend William Barber, l’un des héritiers de Martin Luther King, lors d’un entretien diffusé par l’émission américaine Democracy Now.

Les républicains savent très bien qu’ils ne peuvent pas gagner si tout le monde vote
révérend William Barber, l’un des héritiers de Martin Luther King

Ce pasteur noir de Caroline du Nord est engagé depuis des années contre ce que les Américains appellent le voter suppression, cet ensemble de stratégies visant à restreindre l’accès au vote de certains groupes de citoyens. Ces six derniers mois, malgré la pandémie, le révérend William Barber et des milliers d’autres responsables religieux et fidèles ont multiplié les initiatives pour mobiliser le vote noir américain. Attaché à une tradition née pendant le mouvement pour les droits civiques, des centaines d’églises afro-américaines ont organisé des «caravanes électorales» visant à transporter les fidèles vers les bureaux de vote afin qu’ils puissent voter en avance et être sûrs que leur suffrage sera pris en compte.

Dans certaines congrégations religieuses, des conseils sont également dispensés aux fidèles pour faire face aux longues heures d’attente devant les bureaux de vote, causées par la fermeture de centaines de sites électoraux. «Nous disons aux gens: si vous n’avez pas d’autre choix que de voter le jour de l’élection, alors préparez-vous, mettez votre visière de protection anti-Covid, votre masque et vos gants, prenez un sandwich, une chaise pliante et de l’eau», souligne William Barber. Lors des élections de mi-mandat en 2018, certains électeurs avaient dû patienter plus de six heures avant de pouvoir pénétrer à l’intérieur des bureaux de vote. 

Le vote même en prison

La mobilisation électorale n’est toutefois pas l’apanage des églises progressistes. Les évangéliques conservateurs  sont aussi très engagés en faveur de l’accès des détenus au droit de vote. Des aumôniers seront ainsi mobilisés cette année au sein même des prisons en tant qu’observateurs pour s’assurer que les prisonniers, dont les droits civiques n’ont pas été suspendus en raison de la faible gravité de leur crime, puissent voter. 

De nombreux leaders évangéliques soutiennent aussi la restitution des droits civiques des détenus sortis de prison. Selon un sondage publié par la National Association of Evangelicals en 2015, 93% d’entre eux sont favorables à ce principe. «La rédemption est un enseignement central du christianisme. Cela devrait aussi être l’un des objectifs de notre système judiciaire», estime Carl Nelson, président de l’association évangélique Transform Minnesota, qui travaille à la réinsertion des ex-prisonniers.

Actuellement, en Floride, plusieurs importantes organisations évangéliques, comme la National Hispanic Christian Leadership Conference et la Christian Coalition of America, militent activement pour l’adoption d’une mesure référendaire qui sera soumise au vote des électeurs le 3 novembre prochain, visant à restituer des droits civiques à quelque 1,5 million d’ex-détenus ayant purgé leur peine.

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