Taizé: retour aux origines

Prière dans l'église de Taizé. © CC BY-SA 3.0/Damir Jelic/ Wikimedia commons / Prière dans l'église de Taizé. © CC BY-SA 3.0/Damir Jelic/ Wikimedia commons
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Prière dans l'église de Taizé. © CC BY-SA 3.0/Damir Jelic/ Wikimedia commons
Prière dans l'église de Taizé. © CC BY-SA 3.0/Damir Jelic/ Wikimedia commons

Taizé: retour aux origines

Myriam Bettens
6 décembre 2021
Frère Alois, prieur de la communauté de Taizé, était à Genève le 3 décembre dernier. Invité par la Faculté de théologie de l’Université de Genève à l’occasion de la sortie d’un livre sur l’histoire de Taizé, il est revenu dans la Cité de Calvin qui a vu naître la communauté.

Dans le temple de Saint-Gervais, les bancs se remplissent peu à peu. Les discussions feutrées font place aux chants entonnés par l’assemblée. Plusieurs frères de la communauté de Taizé assis face à un parterre de lumignons mènent la prière. Les alléluias de l’assemblée sont entrecoupés de lectures. Baissées dans un esprit de recueillement, les têtes se tournent maintenant vers frère Alois, vêtu de son habit blanc. Il gravit les quelques marches de l’escalier du chœur de l’église et s’y assied. «Je suis très touché que nous puissions d’abord nous réunir dans la prière avant de poursuivre la réflexion sur un plan plus intellectuel», déclare le prieur de la communauté pour introduire cette soirée. Entamée dans la lumière chaude et discrète du temple protestant, la soirée s’est poursuivie à la salle Trocmé, non loin de là, avec une présentation et une discussion autour du livre de l’historienne Silvia Scatena, Taizé, une parabole d’unité. Histoire de la communauté des origines au concile des jeunes (Brepols, février 2021).

Genève berceau de toutes les réformes

Le frère Alois a rappelé à l’assemblée qu’avant de s’installer sur la colline bien connue de Taizé, «[la] communauté trouve [à Genève] ses racines, entre la cathédrale et la rue du Puits-Saint-Pierre, où le jeune Roger et ses compagnons ont commencé la vie en communauté». Ce jeune Roger dont parle le prieur n’est autre que le fondateur de la communauté de Taizé, le pasteur Roger Schutz.

Né dans le canton de Neuchâtel en 1915, le jeune homme poursuit des études à la Faculté de théologie des Églises libres de Lausanne. Attiré à la fois par le cénobitisme, forme de vie monastique communautaire, et l'œcuménisme, Roger Schutz caresse le projet de fonder une communauté de prière au sein des Églises issues de la Réforme. Il se met donc en quête d'une maison, qu’il finit par acquérir en 1940 dans le village français de Taizé, en Saône-et-Loire. Pendant les deux ans qui suivent, Roger Schutz accueille dans sa maison des réfugiés qui fuient les persécutions nazies. Recherché par la Gestapo, il trouve refuge à Genève et y rencontre trois étudiants qui vont devenir ses premiers compagnons: Max Thurian, Pierre de Souvairan et Daniel de Montmollin. Ils s'établissent ensemble dans un appartement. Tous trois animés par un travail et une prière commune, ils bâtissent une sorte de tiers ordre de laïcs, qui prend le nom de Grande Communauté.

N’ayant pas abandonné son idée de départ, Roger Schutz quitte Genève à l’automne 1944 pour se fixer définitivement à Taizé. Les autres membres restés à Genève se sentent abandonnés, voire même trahis. Ce sentiment de trahison va grandissant avec les années.

Cène(s) de discorde

Des incompréhensions envers la démarche de frère Roger naissent dès la création de la communauté. En cause, le choix de fonder une communauté monastique, alors que le monachisme fait l’objet d’un rejet par le protestantisme depuis sa condamnation par Luther. Plus tard, le choix de frère Roger de s’engager à vie dans la communauté qu’il a fondée et les questions inhérentes à son statut officiel de pasteur protestant émergent. Ce qui marque pourtant encore bien plus les esprits, et dont un participant fait mention lors de la séance de questions qui suit la présentation du livre ce 3 décembre, c’est la conversion cachée de Max Thurian, un des frères fondateurs, et son ordination comme prêtre à Naples en 1987.

Dans la salle Trocmé, au-dessus de Saint-Gervais, où se déroule la suite de la soirée, d’autres pointent l’incompréhension face à la question de la communion à Taizé: la sainte cène célébrée à l'origine dans l'église de la Réconciliation et ouverte à tous a été remplacée par la messe catholique. Les apparents signes de catholicisation du mouvement suscitent interrogations et déception dans les rangs protestants. Néanmoins, aucun des participants ne remet en cause le rayonnement indéniable de la communauté de Taizé à travers l’Europe et le monde. Qu’il s’agisse des Rencontres internationales de prière qui ont lieu chaque fin d’année aux quatre coins du monde ou des fraternités présentes dans des quartiers déshérités d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique latine, les témoignages quant à l’impact que Taizé a eu dans leur vie affluent.

Comme un roman

Elle-même fascinée par la vitalité de la communauté de Taizé, l’historienne italienne, Silvia Scatena s’est lancée dans une recherche sur son histoire. Frère Roger, foncièrement «allergique» à toutes formes d’archives, considérait les écrits comme des outils, valables pour un temps, ceux-ci «une fois leur utilité épuisée» étaient simplement remplacés par d’autres.

Silvia Scatena a donc dû s’armer de persévérance pour mener à bien cette entreprise qui durera une dizaine d’années avant d’aboutir à la publication de son livre. Entre voyage à travers l’Europe pour récolter des sources et les recouper, visite aux frères sur «la colline»: le pavé de six cent cinquante pages de l’historienne se lit comme un roman, confient les participants présents à la présentation. Cela en étonne même l’Italienne, qui affirme avec un sourire que «cela doit être dû à l’excellente traduction française». Traduction financée par un mécène genevois, glisse Christophe Chalamet en aparté. Le professeur de théologie systématique à l’Université de Genève et également organisateur de cette soirée le décrit comme «un ouvrage qui fera date», car personne avant Silvia Scatena n’avait mené «de travail historique aussi rigoureux et scientifique» que le sien.    

Taizé questionne le protestantisme

Lui-même auteur de la préface du livre de l’historienne, Christophe Chalamet note que «Taizé peut aider [nos Églises] à redécouvrir un élan. Nous devons être attentifs à ce que nous pouvons apprendre de Taizé, y compris dans les facultés théologie». Et d’ajouter: «Nous n'avons pas tiré les leçons concernant l'avenir du christianisme dans nos régions. Nos Églises d’Europe de l’Ouest vivent un temps de crise, d’affaissement marqué et rapide. Au milieu de ce paysage peu reluisant, Taizé parvient depuis des décennies à éveiller quelque chose dans la jeunesse du monde entier».

Comme en écho à ce constat, frère Alois pointe la désunion des Églises: «Nous pourrions rayonner encore davantage si nous reconnaissions humblement ce qui nous manque en tant qu’Église et que nous pouvons recevoir des autres». Le prieur redira d’ailleurs plusieurs fois sa gratitude de ce «retour» à Genève. Signe d’une volonté de cheminer vers une relation apaisée avec le protestantisme.