Quand la religion soulage les personnes atteintes d’Alzheimer

©RNS/Adelle M. Banks
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©RNS/Adelle M. Banks

Quand la religion soulage les personnes atteintes d’Alzheimer

Adelle M. Banks
30 janvier 2019
Animaux en peluche, images colorées et chansons traditionnelles. Différentes façons d’adapter les services religieux aux personnes souffrant de démence.

Sept femmes, la plupart en fauteuil roulant, sont assises en demi-cercle face à des vitraux et un autel surmonté d’une croix. Sous la table drapée se trouve une caisse en forme d’arche débordant d’animaux en peluche. «Spirit Alive» (esprit vivant), un service religieux multi sensoriel et hebdomadaire pour les personnes atteintes de démence, est sur le point de commencer. Ces offices un peu particuliers ont lieu dans un centre de soins infirmiers spécialisés affilié à l’Église Unie du Christ, à 80 km au nord de Philadelphie.

La révérende Jamie Moyer a organisé la rencontre sur le thème de la création: «Dieu a le monde entier entre ses mains». Pour commencer, elle distribue des photos de fleurs colorées aux participantes et les invite à choisir une peluche. «Dieu t’a regardée et s’est exclamé: «je t’ai créée, Ruth», dit-elle à une résidente, alors qu’elle tient un miroir face au visage de la femme. Elle répète ce geste auprès de chaque personne affirmant: «Je t’aime beaucoup, beaucoup.»

Ce service de 45 minutes, qui a lieu dans chacune des quatre maisons de soins infirmiers du Ministère Phoebe, est un exemple de la façon dont les responsables religieux modifient les services traditionnels pour offrir un espace spirituel aux personnes atteintes de démence. Selon les spécialistes, les maisons de retraite doivent trouver des moyens non seulement de prendre soin physiquement des personnes atteintes de démence, mais aussi de les aider à continuer à avoir une qualité de vie qui peut inclure une dimension spirituelle.

Une maladie en hausse

Les Centres américains pour le contrôle et la prévention des maladies estiment que plus de 5,7 millions d’Américains sont atteints de la maladie d’Alzheimer. Les experts prédisent que ce chiffre doublera pour les personnes de plus de 65 ans d’ici 2040. Une synthèse des études menées en 2014 sur les personnes âgées atteintes de démence a révélé que les personnes engagées dans des pratiques spirituelles et religieuses jouissaient d’une meilleure qualité de vie. Selon les propres recherches du Ministère Phoebe, les résidents atteints de démence qui participent au programme «Spirit Alive» sont plus réceptifs durant le culte et se sentent plus proches de Dieu.

La veille du service de Jamie Moyer sur la création, la rabbin Beth Janus a sorti sa guitare dans une des synagogues d’Elkins Park à environ une heure de route de Richlandtown. Elle a chanté des chansons espérant stimuler les souvenirs des participants: un homme et sa femme atteinte d’Alzheimer depuis quelques années ainsi qu’une femme souffrant de démence accompagnée par son auxiliaire de vie. Ils participent au programme «De la musique juive pour l’âme et l’esprit».

La première femme, Karen Avart, chantait occasionnellement des chansons hébraïques, des negro-spirituals comme «Go Down Moses» et aussi «Sunrise, Sunset» de la comédie musicale «Un violon sur le toit»; elle accompagnait parfois la guitare de Beth Janus avec des maracas. L’autre femme ne chantait pas, mais regardait attentivement la rabbin. La rencontre a duré une heure et demie autour d’une table décorée d’un verre de vin, d’une bougie à mèche multiple et d’autres emblèmes de la Havdalah, la cérémonie marquant la fin du Shabbat.

Karen Avart et son mari, Stewart, sont membres de la congrégation et ont assisté à cet office après avoir reçu un courriel au sujet de ce programme. «Nous reviendrons», a-t-elle dit, ajoutant qu’elle aimait particulièrement la mélodie de «Shalom Aleichem», un chant de paix traditionnellement chanté par les juifs le vendredi soir, au début du sabbat. Son mari a ajouté qu’il appréciait la rencontre, qui donne un sentiment de communauté au-delà des services de la synagogue auxquels ils assistent occasionnellement. «Si ça rend Karen heureuse, ça me rend également heureux, car elle est ma principale préoccupation.»

Toucher les personnes dans leur passé

Beth Janus, qui jouait de la guitare accompagnée de son fils de 11 ans au djembé, a expliqué que ce qu’elle préféré était d’atteindre les gens là où ils sont maintenant, et aussi de les toucher dans leur passé. «Je vois chanter des gens atteints de démence et je sais qu’ils ont accès à une partie de leur cerveau qui ne fonctionne plus normalement», relève cette rabbin indépendante qui a cocréé le programme avec sa belle-mère, atteinte également de démence. Beth Janus affirme que sa belle-mère vit des moments «magiques» où elle frappe des mains et chante sur des chansons familières.

Selon les spécialistes, les formes de démence comme la maladie d’Alzheimer ont tendance à endommager les parties du cerveau qui aident les gens à conserver leurs souvenirs récents. Mais la maladie touche moins les souvenirs à long terme qui comprennent entre autres de vieilles chansons et des prières apprises dans le passé. Beth Janus a proposé ce programme pilote pour trois dimanches de novembre à la Congrégation Beth Sholom. Elle l’a poursuivi les mois suivants.

Un lien religieux

Au Ministère Phoebe, les participants de «Spirit Alive» ont également parlé de la façon dont ils attendent avec impatience les prochaines rencontres. «Je pense que ça fait du bien, ça nous rend différents», ajoute Dolores Simmons, dans une entrevue après avoir tenu une souris en peluche pendant le service. Lorsqu’on lui a demandé ce qu’elle entendait par «différent», elle a répondu: «Béni, un peu du côté religieux.»

Le révérend Scott Brooks-Cope, directeur des services pastoraux de Ministère Phoebe, a précisé que les chercheurs avaient évalué le programme avec un outil souvent utilisé pour mesurer la participation des personnes atteintes de démence. Les résultats confirment ce que Dolores Simmons a raconté. «Les personnes qui ont participé aux programmes «Spirit Alive» ont été beaucoup plus participatives que celles qui ont participé aux cultes traditionnels. Ils s’impliquaient, souriaient plus et dormaient moins.»

Susan McFadden, professeure émérite de psychologie à l’Université du Wisconsin, à Oshkosh, a ajouté que certaines études sur la religion et la démence montraient que le maintien d’un lien avec le culte et la vie de la congrégation était un facteur clé pour améliorer la qualité de vie des personnes atteintes de démence. «Elles sont accueillies par la communauté et reçoivent de la tendresse», dit Susan McFadden, coauteur de «Vieillir ensemble: la démence, l’amitié et les communautés prospères» (Aging together: dementia, friendship and flourishing communities.) «La musique, les Écritures, tout cela a encore un sens pour eux.»

Utiliser les arts visuels

Certains établissements encouragent également l’utilisation des arts visuels avec les résidents ayant des troubles cognitifs. «L’art est un moyen, en particulier pour les personnes atteintes de démence, de s’exprimer lorsqu’elles ont perdu leurs mots», a expliqué la révérende Rebecca Church, directrice des services pastoraux au Wesley Manor, une communauté de retraités affiliée aux méthodistes à Louisville, dans le Kentucky.

Elle se souvient d’un ministre de l’Église méthodiste. Il venait d’être diagnostiqué comme étant atteint de démence. Cet homme a participé à son groupe «Lorsque l’art rencontre le cœur» (Where art meets the heart). Il a dessiné un arbre et l’a peint en noir pour montrer qu’il avait été brûlé. «Comme il l’a expliqué, l’arbre avait été frappé par la foudre, mais continuait à vivre, car les racines étaient profondes», a raconté Rebecca Church au sujet de cet homme, qui est mort il y a plusieurs années.

Alors que certains établissements font des efforts pour trouver des moyens novateurs afin de répondre aux besoins des personnes croyantes atteintes de démence, certaines congrégations se sont aussi portées volontaires pour les aider. Dans la région de Houston, par exemple, l’association interreligieuse CarePartners a organisé des programmes «Lieu de rassemblement» (Gathering Place) pour plus de 1000 personnes touchées par la perte de mémoire dans 50 églises et synagogues, en 2017.

Pendant que les proches aidants bénéficient de quelques heures de répit, le programme offre aux personnes atteintes de démence légère ou modérée la possibilité de socialiser autour d’un dîner, de jeux, de musique et d’exercices. Les lieux de culte figurent également dans le registre national des «Cafés pour la mémoire», des rencontres mensuelles pour les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. L’organisme Faith United Against Alzheimer’s (La foi unie contre l’Alzheimer) rassemble les différentes offres sur son site intitulé «Créer des communautés de foi respectueuses de la démence» (Creating Dementia Friendly Faith Communities).

Susan McFadden, qui donne de nombreuses conférences sur le vieillissement, s’attend à ce que les communautés et les responsables religieux fassent preuve d’innovation croissante à mesure que les baby-boomers — qui ont tendance à se faire entendre davantage que la génération précédente — commencent à recevoir des diagnostics de démence. «Ils vont exiger plus d’initiatives de la part des communautés. Ils vont se lever et dire: ‘Ne nous ignorez pas. On a besoin de vous'.»

Adelle M. Banks, Richlandtown, Pennsylvanie, RNS/Protestinter