La polygamie gagne du terrain auprès des chrétiens du Kenya

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La polygamie gagne du terrain auprès des chrétiens du Kenya

Tonny Onyulo
11 février 2019
Légalisée depuis quatre ans, la polygamie séduit de plus en plus de chrétiens au Kenya. Toutefois, la majorité des Églises s’y oppose.

Tout en sirotant son café devant chez lui, dans un bidonville à Kibera, James Oketch a autant de raisons de soutenir la polygamie qu’il a de femmes. «Je suis fier de ma grande famille. C’est une bénédiction de Dieu. Nous ne devrions pas considérer cette pratique comme un péché», affirme ce menuisier de 49 ans, marié trois fois et père de 13 enfants. «La Bible ne condamne nulle part la polygamie», ajoute James Oketch qui assiste à la messe de l’Église catholique Christ the King, chaque dimanche, malgré la désapprobation du prêtre.

L’argument principal de James Oketch: la polygamie est bénéfique pour les femmes. «J’étais heureux de la décision du président», ajoute-t-il se référant au président Uhuru Kenyatta, qui a ratifié une loi légalisant la polygamie en 2014. «Il comprend notre société et notre culture. Il aime les femmes et ne veut pas qu’elles restent célibataires ou volent les maris des autres. En fait, nous devrions soutenir la polygamie pour le bien de nos femmes.»

James Oketch fait partie des centaines de milliers d’hommes chrétiens dans ce pays d’Afrique de l’Est qui ont plusieurs femmes, malgré la désapprobation des catholiques et d’autres confessions. Environ 1,5 million de Kenyans — soit 10% de la population mariée — sont dans un mariage polygame, selon les dernières données du recensement de la population et du logement du Kenya. Plus de 85% des Kenyans sont chrétiens, dont un tiers est catholique. Environ 10% sont musulmans.

Un sujet de discorde

Le débat sur la question de savoir si les hommes devraient être autorisés à épouser plusieurs femmes a fait la une des journaux quand Uhuru Kenyatta a signé la loi sur le mariage, il y a quatre ans. Durant un débat soutenu à l’Assemblée nationale, des femmes parlementaires ont quitté la session en signe de protestation, affirmant qu’on était à une époque d’égalités des droits et d’équité entre les sexes et les genres. Le parlement, dominé par des hommes, a adopté la loi peu de temps après.

Toutefois, certaines femmes kenyanes soutiennent la polygamie. Précisons néanmoins que la loi ne permet pas à une femme d’avoir plusieurs maris. «Je vis dans une situation polygame et cela ne me gêne pas», affirme Catherine Waruguru, une députée de Laikipia, lors d’une récente conférence de presse. Certaines parlementaires voient même la polygamie comme favorable à la gent féminine dans la mesure où elle protège les mères célibataires.

Début 2018, Gathoni Wamuchomba, une parlementaire du Kenya central, a réintroduit une proposition controversée demandant aux hommes riches d’envisager la polygamie, parce que beaucoup des hommes mariés «font des enfants à gauche et à droite». «On donne naissance à ces enfants et ils ne veulent pas les reconnaître», explique-t-elle. «Si tu es un homme et que tu es capable de soutenir cinq femmes, fais-le. Si tu es un homme et que tu as les moyens d’élever beaucoup d’enfants, fais-le. Le mariage polygame n’est pas un crime, mais un mode culturel.»

Des hommes, jeunes et vieux, ont répondu à l’appel et ouvertement épousé plusieurs femmes. Le mois dernier, Tom Mako, un concessionnaire automobile prospère, a choqué les Kenyans en épousant deux femmes en même temps, Elizabeth Simaloi et Joyce Tikoiyanon, lors d’une cérémonie traditionnelle dans le sud du Kenya. Dans les médias, il a été salué pour son courage. «J’ai décidé d’épouser mes deux femmes parce que je les aime toutes les deux. Je ne veux pas les tromper, alors je les ai convaincues d’avoir un mariage commun», explique Tom Mako.

L’Église catholique désapprouve

L’Église catholique a condamné cette pratique et remis en question la constitutionnalité de la nouvelle loi. «C’est contraire à la doctrine chrétienne d’avoir plus d’une femme», affirme l’évêque Philip Anyolo, président de la Conférence kenyane des évêques catholiques. «Il est temps de défendre la dignité de la femme. J’en appelle à tous les catholiques et à tous les Kenyans de rejeter l’appel à la polygamie lancée par nos dirigeants qui cherchent des solutions en proposant des formes de familles alternatives.»

D’autres dénominations se sont également opposées à la polygamie. Elles soulignent que cette pratique contribue à la pauvreté, car les hommes doivent ainsi partager leurs maigres ressources dans des familles élargies. «Nous ne pouvons pas soutenir la polygamie parce que ce n’est pas chrétien», ajoute l’évêque Paul Korir de l’Église anglicane du Kenya. «Cela augmente les charges des familles. Nos dirigeants devraient comprendre les problèmes économiques que vivent les familles actuellement et arrêter de répandre le mal.»

Gethrude Nekesa, une enseignante de 35 ans, soutient la polygamie, mais elle exhorte les hommes qui cherchent une seconde épouse à demander préalablement le consentement de leur première femme. Souvent, les femmes ignorent qu’elles partagent un mari. «Je soutiens la polygamie. Mais pour maintenir la paix, l’homme doit demander l’accord de sa femme avant d’en prendre une deuxième

De son côté, James Oketch, mari de trois femmes, ne partage pas cet avis. Il dit n’avoir consulté aucune de ses femmes avant d’en épouser une autre. «Il n’est écrit nulle part dans la Bible que le roi Salomon et le roi David ont cherché l’accord de quelqu’un avant d’épouser une seconde femme. Je pense qu’on devrait être de bons chrétiens et suivre les enseignements de la Bible.»

Tonny Onyulo, Nairobi, Kenya, RNS/Protestinter