La pandémie: moment de répit pour les marié·e·s de force?

© Maria Ponomariova
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© Maria Ponomariova

La pandémie: moment de répit pour les marié·e·s de force?

CRAQUER
Les mariages forcés sont une réalité qui touche hommes et femmes en Suisse, y compris dans le canton de Vaud. Le confinement a eu un impact notable sur ces situations… à la fois positif et négatif, constatent les personnes concernées.

Cet été, Anisa* va se marier. Cette brune souriante, habitante d’une grosse agglomération vaudoise, se réjouit, mais sa joie a parfois un goût amer. La trentenaire sort d’une décennie compliquée. Il y a dix ans, elle a failli être mariée de force. Son père avait organisé son union dans son pays d’origine, au coeur des Balkans. Effrayée, elle a fui la maison, et a trouvé, auprès du Bureau information femmes à Lausanne, de quoi l’orienter. Aujourd’hui, penser à ce passé pénible et tout ce qu’il a entraîné de souffrances, de séparation et de précarité est trop difficile. «Je n’arrive pas à en parler sans craquer, j’ai besoin de garder ces choses encore pour moi», confie la jeune femme. Sohail*, la quarantaine, également résident vaudois, évoque plus volontiers sa liberté tout juste retrouvée.

Des choix pas vraiment libres

Son mariage précédent n’est pas à proprement parler une union «forcée», il a plutôt été arrangé par sa famille et celle de son ex-épouse, au Moyen-Orient. Impossible de connaître la part de liberté de cette dernière, depuis installée en Suisse. Quant à Sohail, s’il a de plein gré signé tous les documents et approuvé publiquement cette union, avait-il vraiment le choix? Ses parents lui ont très clairement et à de nombreuses reprises fait savoir que s’il refusait, il serait déshérité et perdrait tout contact avec les siens. Ce professionnel aguerri, éduqué, bien inséré socialement a fini par céder. Poussé par la volonté de plaire à ses parents, de bien faire, de respecter les traditions et sa famille – dans sa culture d’origine, les aînés ont la préséance. Célébrée en grande pompe dans son pays d’origine, l’union, une fois le couple face à face dans un appartement du bord du Léman, s’est rapidement transformée en désastre. Cette année, Sohail s’est tout juste libéré de ce passé.

Hausse des pressions

Pour d’autres personnes, 2020 et sa pandémie marquent au contraire une hausse des pressions familiales: le Service contre les mariages forcés (voir note) a d’ailleurs augmenté ses effectifs jusqu’en août pour faire face à la situation. «D’une part, le stress et les tensions s’accumulent davantage dans un espace confiné, et les personnes concernées font l’objet d’une surveillance encore plus étroite de leur environnement. Dans une telle situation, il est tout à fait possible qu’une personne menacée de mariage forcé décide de nous demander conseil en raison de la pression accrue qu’elle subit; nous constatons d’ailleurs une augmentation du nombre de cas entrants», observe Bettina Frei, responsable du service. La pression familiale est un élément important dans les mariages forcés. Ces unions concernent pour 30% des mineurs – la plupart du temps des jeunes filles, dont les familles sont issues de pays tiers. Tenir tête aux siens lorsqu’on ne dispose d’aucune ressource matérielle, d’aucun foyer, et parfois d’une faible connaissance de ses droits est éminemment compliqué. Et les contraintes et violences psychologiques exercées sur des mineurs par leur entourage sont des pratiques insidieuses, difficiles à débusquer et à dénoncer. «Les parents qui n’ont pas la même opinion que leur enfant sur ses choix de vie peuvent être violents dans leurs paroles. Où commencent réellement l’abus et la maltraitance?» pointe une fonctionnaire vaudoise connaisseuse de ces dossiers. La souffrance, les menaces ou la violence indiquent souvent qu’une limite est franchie. Pour lutter contre ces situations et éviter les ruptures familiales, «le plus efficace est encore d’outiller la personne et de la renforcer dans ses propres compétences», note une cheffe de service rompue à ces questions.

Des complices qui se croient soutiens

Ces unions arrangées ont souvent lieu à l’étranger, au cours de «congés». «Les jeunes sont emmenés en vacances de force et mariés – ou partent en vacances sans savoir que l’objectif est de les marier –, alors même qu’ils ont grandi en Suisse et ont peut-être un ou une petit•e ami•e ici. Lorsqu’ils reviennent, ils sont dans une situation psychique difficile», témoigne Anu Sivaganesan, présidente du Service contre les mariages forcés. Bien évidemment, ces unions impliquent une série de complices, souvent tous persuadés d’agir pour le meilleur. Les premiers concernés sont les jeunes eux-mêmes. Pourquoi ne pas simplement demander le divorce, une fois majeur ou revenu en Suisse? «Pour les personnes qui ont grandi en Suisse mais qui ont été mariées à l’étranger, il en va parfois de la solidarité avec ce partenaire, qu’elles aident ainsi à quitter leur pays d’origine. Du point de vue des parents de l’enfant marié à un·e jeune Suisse, la pratique est vue aussi comme une forme de solidarité: cela lui ouvre la possibilité de s’installer en Suisse, ce qui reste quelque chose de très compliqué si l’on est célibataire venant d’un pays hors de l’Union européenne», complète Anu Sivaganesan.

Frontières fermées et précarité

Bonne nouvelle, la fermeture des frontières ces derniers mois et la difficulté de voyager cet été bloquent ces stratégies: «nous enregistrons beaucoup moins de nouveaux cas d’enlèvements à l’étranger – ce qui est bien sûr positif pour les personnes concernées», se réjouit Bettina Frei. D’un autre côté, cette fermeture rend plus complexe la possibilité de ramener les personnes précédemment emmenées pour s’y marier. «Dans ce domaine, les situations sont parfois précaires. Nous considérons que cette tendance est négative, car la situation sociale conduit manifestement à des situations plus stressantes pour les personnes concernées», déplore l’experte.

Hommes victimes

«Une violence basée sur le genre et la communauté.» Anu Sivaganesan, présidente du Service contre les mariages forcés, décrypte cette pratique complexe et explique pourquoi les garçons sont moins concernés par les mariages forcés.

«Les mariages forcés sont une violence basée sur le genre et la communauté, notamment la parenté. Parents, oncles, tantes, sœurs exercent une pression. Cette pratique repose aussi sur des prescriptions culturelles, qui projettent des attentes sur les femmes en matière de sexualité, de procréation, de virginité. Une attente qui n’existe pas pour les hommes. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ne sont pas eux aussi des victimes de ce système patriarcal. Ils subissent en effet d’autres attentes (gagner de l’argent, s’occuper d’une famille, se marier après 30 ans, être hétérosexuel, se marier au sein de son ethnie et de sa religion, avoir des enfants). Les chaînes d’attente sont longues! Nous accueillons par exemple des homosexuels mariés de force à des femmes. Mais pour un homme, les possibilités de se mouvoir au sein d’une union forcée sont différentes que pour une femme. Ils peuvent plus facilement mener une double vie: s’ils doivent gérer un foyer avec quelqu’un qu’ils n’aiment pas, ils peuvent plus facilement avoir une petite amie. Bien entendu, toutes les personnalités ne sont pas identiques. Et ces situations provoquent chez eux aussi des souffrances psychiques, un sentiment de culpabilité.»

Contacts 

Bureau information femmes 021 320 04 04, www.bif-vd.ch 

www.mariageforce.ch info@mariageforce.ch, helpline 0800 800 007