Un corps déconnecté

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Un corps déconnecté

21 juillet 2020
Yoga, méditation, fitness, véganisme viennent à la rescousse d’un mode de vie inadapté. Quand le corps cherche de l’aide. (4/4)

«Tombeau de l’âme» pour Socrate, source des péchés pour Saint Augustin, le corps a pendant très longtemps été dévalorisé au profit de l’âme ou de l’esprit. Or depuis une trentaine d’années, il occupe désormais le devant de la scène: tatouages, piercings, chirurgie esthétique à outrance et culturisme se sont démocratisés. «Ce qui s’est joué dans les années 1980 - 1990 dans nos sociétés contemporaines occidentales, c’est moins un retour au corps qu’une nouvelle forme de dualisme, c’est-à-dire non plus l’opposition de l’âme ou de l’esprit au corps, mais de l’individu à son propre corps», explique le sociologue du corps David Le Breton. Ainsi, l’individu parle de son propre corps comme d’un objet.

Et si l’individu va tout faire pour façonner cet «objet» afin d’atteindre son idéal de beauté, son mode de vie actuel nuit lourdement au bien-être de ce corps et donc de toute sa personne: prendre sa voiture pour aller au travail, passer toute la journée devant un ordinateur, rentrer chez soi et regarder des séries en surveillant ses messages sur son téléphone portable. «L’obésité et la sédentarité n’ont jamais touché autant de personnes. Et pourtant, on remarque une tendance croissante à vouloir prendre soin de soi à travers l’explosion de toutes sortes de pratiques telles que le yoga, le fitness, la méditation ou encore le véganisme», constate Olivier Bauer, professeur de théologie pratique à l’Université de Lausanne. Est-ce paradoxal?

Pour le sociologue, «notre corps est complètement sous-utilisé, il est rendu passif en permanence par les technologies et réduit à l’immobilité». Il pointe le sentiment de «mauvaise fatigue», le fait de n’avoir rien fait et d’être épuisé. S’ajoute à la sédentarité, la tension permanente liée à l’hyperconnectivité. «Nous avons, plus ou moins, le même corps que les hommes et les femmes de la préhistoire qui étaient constamment en mouvement. Notre rythme de vie actuelle ne nous correspond pas. Face à cette situation, le yoga, la marche, la méditation sont des moyens de calmer le jeu et de retrouver un temps pour soi, une harmonie intérieure qui nous échappe de plus en plus.»

Se reconnecter à son corps

Julia Durgnat, qui finalise un mémoire de master en théologie sur le rapport au corps dans la méditation, explique le succès du yoga ou des pratiques méditatives par le besoin de reconnexion avec son propre corps. «La société actuelle nous pousse à une surutilisation de certains sens, notamment la vue à cause des multiples écrans et également l’ouïe. La méditation permet de redécouvrir notre propre corps.» Mais le bien-être apporté par ces disciplines ne bénéficie-t-il qu’au corps? L’âme et l’esprit ont-ils été évincés? «On prétend évacuer le spirituel de certaines pratiques du yoga ou de la méditation, mais il est là», souligne Olivier Bauer, qui définit la spiritualité comme le rapport au corps et à l’esprit. «La spiritualité est une hygiène de vie physique et mentale. On ne peut pas se passer de l’un ou de l’autre.»

Pour le théologien, l’expérience physique est le point de départ d’un mouvement qui touche l’individu tout entier. «C’est justement en "faisant" qu’on va provoquer un état d’esprit différent, une nouvelle compréhension du monde.» Julia Durgnat, qui a mené une expérience pilote sur 14 participants pratiquant la méditation de façon totalement libre, constate que le ressenti corporel vient «éclairer» l’esprit. «Après avoir médité tous les jours pendant une semaine, les participants se sentaient mieux connectés avec eux-mêmes et les autres, et donc plus utiles.»

Des mécanismes religieux

D’ailleurs, Olivier Bauer voit dans ces disciplines, des mécanismes proches de la religion. Tout d’abord, la conversion accompagnée parfois de rites de passage. «Par exemple, une personne qui se tourne vers le véganisme va jeter tous les produits de sa cuisine qui ne sont pas en accord avec son nouveau régime.» De plus, le théologien remarque que souvent les nouveaux adeptes souhaitent convaincre leur entourage, ce qui rappelle la volonté d’évangélisation. Le côté communautaire a également une place importante. «Le yoga ou la méditation se pratiquent souvent en groupe. Des retraites et de grands rassemblements sont également monnaie courante. Évidemment, ce n’est pas le même communautarisme qu’on peut trouver en fréquentant la même paroisse pendant quarante ans», ajoute Olivier Bauer, qui a mené des recherches sur la spiritualité dans l’alimentation et le sport.

Devenir un flâneur

Si le yoga, la marche ou la méditation apporte un peu de bien-être dans la vie effrénée des individus, ils ne sont qu’un palliatif. «Le mieux serait qu’on retrouve une relation incarnée avec le monde», conseille David Le Breton qui vient de publier Marcher la vie. Un art tranquille du bonheur. Laisser son véhicule au garage, utiliser son vélo, courir dans les parcs. Et surtout «lever les yeux vers les autres plutôt que d’être rivés sur son portable, redécouvrir la beauté de la ville, les visages des gens, devenir un flâneur. Je pense que c’est ainsi qu’on trouvera d’une certaine manière le salut.»

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