Des préjugés que l’on s’applique à soi-même

©iStock/skynesher / Si vous considérez qu’il est normal pour une personne âgée d’avoir des douleurs, vous consulterez moins facilement un médecin.
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Si vous considérez qu’il est normal pour une personne âgée d’avoir des douleurs, vous consulterez moins facilement un médecin.

Des préjugés que l’on s’applique à soi-même

CHRISTIAN MAGGIORI
Attribuer des caractéristiques à une personne uniquement en raison de son âge reste largement admis dans notre société.

Vous travaillez sur l’âgisme. Qu’est-ce que l’âgisme?

C’est le fait d’être discriminé en raison de son âge. Les plus jeunes peuvent aussi faire l’objet de discriminations basées sur des stéréotypes associés à la jeunesse, mais dans la majorité des cas, l’âgisme touche les personnes âgées. Elles sont par exemple considérées comme fragiles, malades, incapables de s’occuper d’elles-mêmes ou de s’adapter à des situations nouvelles. Il y a âgisme, chaque fois que l’individualité d’une personne est effacée pour ne laisser place qu’à des préjugés la concernant en raison de son âge.

Une situation caricaturale, mais que j’ai vraiment vécue, s’est présentée en accompagnant ma mère dans un commerce pour qu’elle s’achète un nouveau téléphone portable. J’ai eu beau répéter plusieurs fois que ce n’était pas moi le client, le vendeur s’est systématiquement adressé à moi.

En quoi est-ce important de se soucier de ces préjugés liés à l’âge?

Si vous atteignez l’âge à partir duquel vous vous considérez comme vieux ou à partir duquel la société vous renvoie cette image de vous-même, le risque est que vous ayez intégré ces stéréotypes. Si vous considérez qu’il est normal pour une personne âgée d’avoir des douleurs, vous consulterez moins facilement un médecin, ce qui peut avoir un impact sur votre santé. Si vous avez intégré qu’une personne âgée est incapable d’apprendre de nouvelles choses, vous allez peut-être renoncer à suivre des cours, voire à faire valoir vos droits ou vos opinions. La petite phrase que l’on entend parfois: «Vous savez à mon âge, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise» en est symptomatique. Tout cela a un impact sur la participation des personnes âgées à la vie sociale, sur leur isolement et sur leur santé.

À cela s’ajoute le fait que les personnes âgées ne sont pas seulement victimes de leurs propres préjugés: peut-être leur prescrira-t-on moins facilement un traitement ou que l’on renoncera à faire appel à elles pour une activité, sans tenir compte de leur situation réelle, mais simplement en se conformant à leur âge et à des préjugés.

La crise sanitaire retarde un peu vos recherches, mais vous avez initié des travaux de sensibilisation à l’âgisme en milieu scolaire.

Avec Fabrice Brodard de l’Unil, nous avons effectivement un projet d’intervention en milieu scolaire qui est un peu victime du virus pour le moment.

Qu’ils soient liés au sexe, à la race ou à l’âge, les stéréotypes sont captés et intégrés par les enfants dès leur plus jeune âge. A partir de 12 ou 14 ans, ils sont très difficiles à modifier. Adulte, on peut bien entendu les contrer, se dire qu’ils sont irrationnels, faire la démarche intellectuelle de se dire «stop, ce que tu penses là est un préjugé», mais ces sentiments restent le plus souvent ancrés. Ainsi avoir des expériences positives avec, dans ce cas, des personnes âgées permet de se forger une image bien plus correcte des personnes âgées.

Mais l’une des particularités de l’âgisme, par rapport à d’autres discriminations, c’est qu’il demeure particulièrement bien toléré dans notre société. Il y a donc un important travail de sensibilisation à mener, raison pour laquelle nous multiplions les publics et les canaux pour mener à bien un travail de sensibilisation. Souvent les gens n’ont même pas conscience qu’ils propagent des stéréotypes et d’avoir, sans le vouloir, des attitudes âgistes.

Les mesures visant à freiner la propagation du coronavirus mettent-elles à mal les liens entre générations?

Comme chercheur dans le domaine de l’âgisme, cette situation m’a permis d’observer plusieurs éléments. Dans un premier temps, le discours de prévention destiné aux 65 ans et plus a été reçu différemment suivant les individus. Certains, en bonne santé, n’ont pas toujours accepté d’être étiquetés parmi les plus faibles, sans distinction.

Pendant le semi-confinement, j’ai même assisté à des scènes ou des personnes âgées étaient interpellées en raison de leur présence dans la rue ou dans des commerces. Le fait qu’il puisse être légitime de prendre l’air ou que certaines personnes n’aient tout simplement pas le choix de faire leurs courses elles-mêmes n’est pas pris en compte. A contrario, on a assisté à de magnifiques élans de solidarité qui ont certainement permis des contacts entre générations susceptibles de mettre à mal certains préjugés.

A la fin de l’été, il y a presque eu un retournement de situation où les plus jeunes étaient pointés du doigt comme les responsables de la deuxième vague en raison de leur insouciance durant l’été. Difficile donc de dire ce qui restera de cette période.