Futur antérieur

Futur antérieur / ©Mathieu Paillard
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Futur antérieur
©Mathieu Paillard

Futur antérieur

Rodolphe Nozière
2 mars 2022
Conte
Nous sommes en 2222. Lors de la Conférence sur le climat, un intervenant commence son allocution par un extrait d'un discours du début du millénaire.

«Mes Frères, ne voyez-vous pas la Terre sous vos pieds. Etouffée par toutes ces fumées, des rejets pollués? Qu’avez-vous donc fait de l’Eden qui vous fut donné?

Déjà vous fêtez l’arrivée du Troisième Millénaire; mais celle qui vous porte, vous nourrit, le fêtera-t-elle? Ou si trop exploitée, vous punira? Ne voyez-vous pas venir ses premières colères?

La catastrophe finale s’élabore jour après jour: les saisons s’inversent et s’entrechoquent, comme si notre planète avait bouleversé son cours.

Des contrées entières, par le courroux des vents et des mers, s’écroulent sous le choc des tempêtes et des plus en plus nombreux ouragans.» *

C’était il y a 200 ans. L’humanité était au bord du gouffre et nombreux étaient ceux qui tiraient la sonnette d’alarme, appelant les gouvernements à trouver des solutions afin de freiner le dérèglement climatique… Les conférences internationales pour le climat s’enchaînaient depuis plus de trente ans, mais rien ne se mettait en place.

Et pourtant un jour tout changea. Le monde se réveilla enfin de ce long cauchemar qui emprisonnait l’humanité dans les catastrophes climatiques de plus en plus nombreuses, les régulations qui ne menaient nulle part.

Les urbanistes et les architectes enclenchèrent une première révolution: plus de lourds bâtiments de verre ou de béton à climatiser l’été et à réchauffer l’hiver, mais des logements et des locaux végétalisés, orientés vers le soleil du matin. Les rues cessèrent d’être uniformément couvertes de bitume, mais apparurent ombragées, où les végétaux reprendraient le pouvoir.

Toutes ces cités se mirent à produire des légumes et des fruits sur les toits et terrasses, le CO2 désormais capté nourrissait les plantes des villes. L’agriculture devenant plus productive tout en épargnant les ressources naturelles, les forêts purent réoccuper tous les espaces abandonnés par celle-ci.

Les ressources des océans ne furent plus exploitées de manière démesurée: les algues remplacèrent les dérivés pétroliers tout en fournissant de la nourriture. Les déchets ne furent plus une plaie pour les océans, car davantage recyclés.

Les courants océaniques régulant les climats sur le point de s’effondrer furent miraculeusement sauvés.

Les zones polaires et les steppes du nord des Amériques et d’Eurasie furent progressivement préservées.

Le permafrost, véritable glacière pour les virus et les épidémies, fut protégé et sa fonte s’arrêta. Là aussi, la végétation reprit ses droits. Durant les saisons chaudes, ces vastes prairies et forêts protégeaient le sol du rayonnement solaire, l’hiver, la neige contribuait à son tour au même mécanisme.

Partout dans le monde, de nouveaux modes d’entretien des paysages furent mis en place, l’humain ne fut plus considéré comme le jardinier du monde, ordonnant tout en fonction de ses besoins, mais comme un participant au même titre que tout autre créature vivante. Les espèces animales parcouraient librement les espaces abandonnés par les humains, entretenant les forêts, les prairies ou les pelouses d’altitude. On vit de nouveau paître d’importants troupeaux de bisons et même des mammouths entretenir les steppes glacées de l’Eurasie.

Tout a changé, mais l’équilibre est si fragile à conserver. Notre monde n’est pas encore totalement remis de ces siècles de domination de l’homme sur la nature. Il reste encore tant à faire…

* Extrait de Les Poètes de l’an 2000, sous la direction de Jacques Charpentreau, Hachette Livre, 2000.