Où en est le féminisme protestant?

Les Tentes rouges, cercle de parole initié au LAB, à Genève, de manière pionnière / © Alain Grosclaude
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Les Tentes rouges, cercle de parole initié au LAB, à Genève, de manière pionnière
© Alain Grosclaude

Où en est le féminisme protestant?

Réveil
Le 14 juin prochain, plusieurs mouvements féministes appellent à une nouvelle grève. Cinq ans après #MeToo et trois ans après la journée historique de 2019, quels effets côté protestant?

Clairement, le mouvement #MeToo a suscité un nouvel élan féministe au sein du protestantisme. «Au début des années 2000, les réformés comme le reste de la société estimaient l’égalité acquise. Un réveil des consciences dans l’Eglise a eu lieu», observe Gabriela Allemann, à la tête des Femmes protestantes en Suisse (FPS).

Deux événements ont entre autres permis des avancées. D’abord, la grève des femmes de 2019. A cette occasion, les FPS formalisent sept revendications. Le texte a peu d’écho en Suisse romande, où l’association n’a pas de réseau. Mais à Genève un groupe œcuménique porté par le LAB – l’espace jeunes adultes inclusif et progressiste de l’Eglise protestante (EPG) – s’en sert pour développer ses propres revendications. «Nous avons pris conscience qu’il y avait plein de choses à faire», se souvient Carolina Costa, pasteure au LAB. Certaines ont été réalisées très rapidement (la fn de l’adressage des courriers au nom du mari). D’autres ont émergé plus tard, comme la réflexion sur la féminisation du langage liturgique.

Questionner les dominations

L’autre événement fondamental, pour Gabriela Allemann, c’est l’affaire Locher (l’ex-président de l’Eglise réformée suisse, qui a démissionné en 2020 avant qu’une commission de l’institution le reconnaisse coupable d’abus sexuel envers une collaboratrice). «Une onde de choc à tous les niveaux. La question des abus a gagné toutes les sphères de l’Eglise. On s’est mis à réfléchir aux rôles de pouvoir, aux hiérarchies. C’est devenu l’affaire de tout le monde, et pas juste un problème ‹de femmes›», note la patronne des FPS. L’effort de son association porte surtout sur des questions matérielles: reconnaissance du travail bénévole («care»), meilleure prise en charge des retraites…

Inclusivité

Côté romand, le féminisme paraît davantage porté sur des combats symboliques. #MeToo a ainsi donné un nouvel élan à la théologie féministe, «même si celle-ci existait bien avant 2019, portée par plusieurs groupes», précise Lauriane Savoy, théologienne protestante à l’Université de Genève. Et le travail féministe a facilité l’inclusivité envers les groupes LGBTQI+. Sur Vaud ou Genève, «ces mouvements étaient à l’origine des associations en marge; ils se sont institutionnalisés. Y parler des inégalités et des discriminations que vivent des personnes minorisées est désormais légitime et important», observe la chercheuse. Reste à savoir comment. Le tollé récent vécu par l’EPG a surpris beaucoup de féministes.

Certains voient tout ce qui pourrait diviser comme un danger

Place du militantisme dans l’Eglise

«C’est la militance le problème. Dans l’Eglise protestante, une femme qui dé- nonce n’est pas à sa place. Elle est censée être dans l’écoute, le compromis, le ‹care›», résume Joan Charras-Sancho, diacre à Zurich. La culture du militantisme en Eglise reste en effet problématique. «Certains voient tout ce qui pourrait diviser comme un danger, un affaiblissement de l’institution», constate Lauriane Savoy. Pour ces activistes, beaucoup de combats restent pourtant à mener : meilleures représentativité, déconstruction des rôles genrés, notamment celui de pasteur…

Les féministes protestantes pratiquent avec bonheur les cercles de parole pour confronter leurs vécus, leurs opinions, leurs idées. Aujourd’hui, elles partagent unanimement un souhait: que des hommes les rejoignent massivement pour échanger.