Travail en Suisse: la fin de l’eldorado

© CC Flickr/Gustave Deghilage
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© CC Flickr/Gustave Deghilage

Travail en Suisse: la fin de l’eldorado

Soutien
Les conditions de travail des salariés suisses se sont dégradées en dix ans. Les Eglises leur offrent un soutien. Deux aumôniers font écho à la réalité du terrain.

La Suisse n’est plus l’eldorado de l’emploi. La marge de manœuvre des salariés s’est réduite ces dix dernières années, indique le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco). Les pourcentages d’actifs «pouvant influencer leurs conditions de travail ont diminué entre 2005 et 2015. Cela concerne aussi bien la cadence de travail (2005: 73 %, 2015: 68 %), que les possibilités d’agir sur la manière dont s’effectuent les tâches (2005: 80,3 %, 2015: 72,1 %). On constate ainsi un recul au niveau de la mise en pratique de ses propres idées dans son travail (2005: 61,9 %, 2015: 48,8 %)», relève le Seco. Avec ces chiffres, tirés de la Sixième enquête sur les conditions de travail en Europe 2015, menée dans 35 pays, la Suisse rejoint le niveau européen.

Baisse de moral

La monotonie des tâches se fait particulièrement ressentir chez les salariés helvétiques, passant de 22,4% en 2005 à 32,9% en 2015. Les tâches sont moins complexes, le travail est soumis à davantage d’autocontrôle et l’apprentissage de la nouveauté se fait de plus en plus rare, comme dans le reste du vieux continent. A cela s’ajoute un stress chez 24,2% des salariés et un épuisement récurrent pour 35% des personnes interrogées, égal à la moyenne européenne. Point positif: malgré ces constats, 88% des salariés suisses se disent encore satisfaits de leurs conditions de travail, à l’image de leurs voisins européens. Quant à l’environnement de travail (bruits forts, fumées, vapeurs), il est plus favorable dans nos contrées que dans le reste de l’Europe.


Derrière les chiffres, la souffrance est réelle. C’est en tous les cas ce qu’observent les Eglises: «Il y a une forme d’épuisement et de non-reconnaissance du travail par la hiérarchie. Dans tous les secteurs, les équipes se réduisent alors même que la charge de travail ne faiblit pas et que les exigences augmentent», indique Philippe Leu, pasteur à Genève, chargé du ministère Eglise et travail, qui offre un service d’écoute et d’accompagnement ouvert à tous. Une situation qu’il observe aussi au sein du personnel des Eglises.


Même constat du côté de la Pastorale œcuménique dans le monde du travail des Eglises réformée et catholique du canton de Vaud. «Nous voyons les personnes qui souffrent au travail, pas les autres. Elles nous disent, entre autres, que l’informatisation des outils de gestion les met sous pression: minutés, le chauffeur de bus comme l’infirmière à domicile ne se sentent plus maîtres à bord!», observe Jean-Claude Huot, référent catholique. «Les gens aspirent à être reconnus en tant que personnes et à être autonomes.»

Ecouter la souffrance

Pour ces deux hommes d’Eglise, il est important d’accompagner les personnes. «Nous offrons un espace pour exprimer la souffrance vécue, déclare Jean-Claude Huot. Je reste ému par la capacité de résistance et par la foi de mes interlocuteurs. Ceci m’incite à une grande humilité.»


Un espace d’écoute, c’est bien souvent ce qui manque aux actifs comme aux chômeurs: la précarité est matérielle, mais aussi relationnelle. Si l’enquête européenne fait écho à la réalité du terrain, elle ne se penche pas sur les difficultés rencontrées par les personnes étrangères admises à titre provisoire (permis F) et les requérants d’asile en procédure (permis N). Philippe Leu y est pourtant souvent confronté, dans le quartier des Pâquis à Genève, où il travaille. «Nous leur offrons des cours de français, les aidons à préparer un entretien, rédiger un CV et une lettre de motivation. Il est aussi essentiel d’établir des collaborations avec les associations locales, les administrations et les communautés religieuses pour créer un réseau de solidarité et être ainsi plus efficace.» Mais le ministre l’avoue: pour faire face à la précarité grandissante dans le monde du travail, il faudrait plus qu’un plein-temps.

-encadré-

Forum œcuménique romand monde du travail


Une journée annuelle d’échange sur les enjeux liés à la situation des travailleurs en Suisse romande et réunissant des acteurs des Eglises et organisations chrétiennes. Samedi 18 novembre 2017, paroisse de Saint-Etienne, route d’Oron 10, Lausanne.


Infos: www.mondedutravail.eerv.ch.