Syrie: témoignage d’un pasteur d’Alep sur dix ans de conflit

La ville d'Alep en Syrie, en 2019. © iStock/Jorge Villalba / La ville d'Alep en Syrie, en 2019. © iStock/Jorge Villalba
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La ville d'Alep en Syrie, en 2019. © iStock/Jorge Villalba
La ville d'Alep en Syrie, en 2019. © iStock/Jorge Villalba

Syrie: témoignage d’un pasteur d’Alep sur dix ans de conflit

7 décembre 2021
Haroutune Selimian, pasteur à Alep et président de la communauté arménienne de Syrie était à Lausanne début décembre. Il témoigne des défis de la reconstruction et de la réconciliation dans un pays bouleversé après dix ans de guerre.

Lorsqu’il a mené un entretien un soir de décembre, dans un hôtel lausannois, Haroutune Selimian n’en revenait pas: «les couloirs et le restaurant étaient vides…Mais près de 200 ampoules brillaient! A Alep, une telle énergie pourrait changer la vie de 200 familles! Les ressources sont si précieuses…» La plus grande ville de Syrie – 3,5 à 4 millions d’habitants en 2011, environ 2 millions aujourd’hui selon les sources – a été détruite à 70%. Entre les personnes mortes, disparues, déplacées, toute la géographie de la ville a changé. Les habitants des banlieues rasées sont venus occuper des maisons abandonnées au centre. Beaucoup des survivants se sont mis à l’agriculture, cultivant chaque lopin disponible. Chaque ressource est précieuse.

Pénuries structurelles

Les logements et infrastructures sont loin d’être reconstruits, le covid complique le quotidien, l’inflation et les pénuries dues aux sanctions économiques rendent le coût de la vie très élevé. Concrètement, cela veut dire pas d’essence, donc pas d’électricité dans les générateurs ni d’eau, puisqu’elle doit être pompée par une machine. Les vêtements, chaussures, couvertures sont manquantes. «Chaque jour la situation est plus alarmante», témoigne le pasteur. Résultat: «nous nous posons des questions existentielles: pourquoi Seigneur et jusqu’à quand?», témoigne le pasteur Haroutune Selimian, dont le conflit a éprouvé sa foi chrétienne.

Menacée de mort sous le régime de l’État islamique, l’Église arménienne tient fermement à rester sur place, sans dissimuler sa proximité avec le régime d’Assad, en partie contrainte par sa situation de minorité. Rester est une question identitaire, existentielle, mais aussi géopolitique. «La présence chrétienne en Syrie est l’équivalent du ph: c’est un facteur neutralisant. Si nous nous en allons, la région sera en danger. Et l’Europe aussi, car le monde est un village», martèle le pasteur, qui attend beaucoup des Églises européennes. «Il n’y aura pas de paix sans justice. Des gouvernements occidentaux sont responsables de ce conflit. Les Églises doivent avoir impact sur leur gouvernement, sur leurs politiques, elles ne doivent pas rester silencieuses face aux injustices.»

Revenir

Des milliers d’Arméniens ont fui pendant le conflit, l’Église d’Alep aide ceux qui veulent revenir en cofinançant la reconstruction de certains logements. «Il faut faire des choix: nous priorisons les familles.» Mais la priorité numéro un a été la reconstruction des bâtiments de l’Église. «Si nous ne rénovons pas ce lieu, la communauté se dira qu’il n’y a pas de futur pour elle. Donc avant de reconstruire les maisons, nous reconstruisons les églises et les écoles», détaille Haroutune Selimian. Car le rôle de l’Église s’est considérablement élargi.

Si avant le conflit, les Églises arméniennes étaient déjà reconnues pour leur système éducatif de qualité, elles ont développé encore plus de compétences et de responsabilités: l’Église arménienne dispose désormais d’une polyclinique, et assure aussi une série de services humanitaires. Elle a aussi et surtout lancé un programme de formation professionnelle pour jeunes adultes. «Une génération entière est dépourvue d’éducation, de vocation et est totalement dépendante des aides. Nous formons 200 jeunes chaque année en leur donnant des outils pour se former à un métier: coiffeuse pour les filles, réparateur informatique pour les garçons, etc.» Si les biais de genre sont bien présents, l’offre, comme tous les services de l’Église protestante, est ouverte à toutes et tous: «60% de ceux et celles qui postulent sont musulmans. Nous croyons entre notre société. L’Église doit prouver qu’elle peut apporter des changements réels dans la vie des gens.»

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Haroutune Selimian, pasteur à Alep et président de la communauté arménienne de Syrie.
© Camille Andres

Interview exclusive

Haroutune Selimian est l’invité de l’émission Sur le parvis, le 24 décembre à 23h45 sur RTS Un, à la suite du culte de longue veille.

Des projets à soutenir

L'Action chrétienne en Orient soutient différents projets en Syrie, mais aussi en Irak, Iran et au Liban en partenariat avec les Églises partenaires sur place. Informations sur les projets et faire un don ici.