Une guerre si proche

La Pologne avait choisi d’investir environ 350 millions d’euros pour la création de son mur avec la Biélorussie. / © Getty Images
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La Pologne avait choisi d’investir environ 350 millions d’euros pour la création de son mur avec la Biélorussie.
© Getty Images

Une guerre si proche

Mireille Reymond Dollfus
2 juin 2022
Solidarité
Alors que nous nous mobilisons pour les Ukrainiens, il est important d’observer la situation avec un peu de distance.

Alors que j’occupe le poste de ministre Présence et solidarité depuis quatorze ans maintenant, je suis ravie de voir la société suisse dans son ensemble se mobiliser pour la cause de ceux qui doivent fuir les bombardements et la guerre. Je salue également l’implication de l’Eglise réformée vaudoise par le mandat qu’elle a confé à Fausto Berto de coordonner les aides, les soutiens ou les initiatives de toutes sortes surgissant au sein de nos communautés. Je pense que cela est très important.

A côté de ces actions solidaires totalement nécessaires, je voudrais prendre un peu de recul et vous transmettre les quelques réflexions qui m’ont habitée ces deux derniers mois.

Tout d’abord, relever notre incohérence. «Nous», ce sont les nations, les gouvernements et les populations d’Europe occidentale. Sur l’instigation de l’Union européenne, la Pologne commençait le 25 janvier 2022 la construction d’un mur sur sa frontière avec le Belarus pour contenir le flux de migrants, soit exactement un mois avant que ne commence l’invasion russe en Ukraine. Un mur pour rien. Un mur qui est le reflet d’un autre qui se trouve à l’intérieur de nos présupposés. De fait, il ne devrait pas y avoir, il n’y a pas de différence du point de vue de l’Evangile, entre un Afghan fuyant les talibans, un Erythréen fuyant un dictateur omnipotent, un Nigérian fuyant Boko Haram et un Ukrainien fuyant la guerre. Or, notre système politique d’accueil et d’asile distingue très soigneusement selon leur provenance ces différentes personnes, pour leur accorder ou non le droit à résider dans notre pays et selon le permis accordé le droit ou non de travailler, avec quel argent manger et se vêtir.

Cette inégalité, cette iniquité, est pesante, lourde, pour tous ceux qui se sont préoccupés des migrants ces dernières années. Pourquoi distinguer les personnes en provenance d’Ukraine par un permis S permettant de contourner les procédures d’asile habituelles? Je ne vois pas d’autre explication que le «au nom du même». Ils seraient «comme nous». Mais où l’Evangile dit-il de nous soucier que de ceux qui nous ressemblent et de délaisser les autres?

Nous pensons sauvegarder notre dignité et notre image de Dieu en priant et en agissant en faveur des Ukrainiens. Mais si nous nous investissons que pour ceux-là en délaissant les autres, imaginant que les victimes des talibans ou du dictateur d’Asmara ne nous concernent pas, nous commettons une double erreur: tout d’abord, nous risquons notre sécurité géopolitique au moins autant que face au maître du Kremlin, mais nous détruisons également la pertinence et la crédibilité du message de l’Evangile dont nous sommes porteurs. Devant Dieu, il n’y a pas de victimes moins dignes de recevoir notre aide ou notre empathie. C’est pourquoi, tous ceux qui, jusqu’ici, se sont engagés en faveur des migrants, dénoncent un accueil à deux vitesses et demandent avec force une égalité de traitement de toutes les victimes de guerre indépendamment de leur pays de provenance.