Sans formation, une précarité qui dure

Sans formation, une précarité qui dure / ©iStock
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Sans formation, une précarité qui dure
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Sans formation, une précarité qui dure

Paradoxe
Difficultés d’accès à l’aide sociale, discriminations, peur de perdre leur permis: les obstacles rencontrés par les jeunes d’origine étrangère sur leur parcours de formation ralentissent leur intégration.

D’un côté, des témoignages quotidiens sur tel restaurant ou tel chef qui réduit son activité par manque de main-d’oeuvre. Et, de l’autre, Roberto*, 20 ans, Genevois d’origine brésilienne. Depuis deux ans, il ne demande qu’à apprendre le métier de cuisinier, mais voit son parcours entravé pour des raisons administratives et financières.

A la fin de l’école obligatoire, il ne peut entamer d’apprentissage, car son permis B doit être renouvelé. Il commence un stage en attendant, puis c’est le centre d’apprentissage qui ferme en raison du Covid. Quand il est prêt à reprendre, il perd ses allocations familiales puisqu’il n’est plus étudiant. Malgré les petits boulots, il doit faire face aux poursuites, peine à financer ses assurances sociales et ses frais quotidiens. Une aide sociale «exceptionnelle» lui est accordée, le temps qu’il retrouve un employeur et puisse être accepté dans un centre de formation. Des difficultés en chaîne qui dépriment parfois cet ado bon vivant, passionné de musique, qui rêverait de suivre des cours de jazz au conservatoire. Il a beau être débrouillard et motivé, sa vie sociale s’est complexifiée (une vie sans smartphone reste malaisée) et l’incertitude plombe son quotidien.

Pour sa maman, qui le soutient, la situation financière devient extrêmement tendue. «Je suis femme de ménage, célibataire, et j’ai une maladie qui implique des frais coûteux. Prendre en charge mon fils est très compliqué. Mon permis B doit être renouvelé tous les ans, or il dépend de mes ressources financières. Si je demande des aides sociales, l’Etat pensera que je ne suis pas autonome…», explique cette femme à la voix douce, mais au regard déterminé. Car la loi impose au canton de communiquer les données d’aide sociale à l’autorité migratoire. L’inscription prochaine de Roberto en apprentissage impliquera aussi des frais d’écolage, de matériel. Sa maman reste confiante: l’Entraide protestante lui apporte une aide momentanée.

Une «aide sociale juste»

L’EPER a remis en juin dernier une pétition au Parlement fédéral, demandant une «aide sociale juste» pour les personnes d’origine étrangères qui sont de plus en plus discriminées. En effet, explique Nina Vladović, responsable du service intégration au sein de l’organisation, «droit de séjour et aide sociale sont de plus en plus étroitement liés: si des personnes de nationalité étrangère (permis B ou C) ont recours à l’aide sociale, leur permis peut être révoqué ou rétrogradé. Et ce, même si elles sont nées et ont grandi en Suisse. Par crainte des conséquences négatives, de nombreuses personnes étrangères renoncent donc à leur droit à l’aide sociale». Les services des Centres sociaux protestants observent également ce problème depuis quelques années.

Au sein du Département genevois de la cohésion sociale, on nuance un peu. «Plusieurs statistiques indiquent que beaucoup d’étrangers ont tout de même recours à l’aide sociale. En revanche, ils le font peut-être plus tardivement, lorsque leurs situations sont plus détériorées, réduisant par conséquent leurs chances de réinsertion», pointe Henri Della Casa, secrétaire général adjoint chargé de la communication.

Cette situation impacte particulièrement les jeunes. Manquant de ressources, «ils ont souvent du mal à rechercher une intégration professionnelle durable. Le danger qu’ils renoncent à une formation pour trouver rapidement un emploi peu rémunéré est élevé. Ils risquent alors, à long terme, de continuer à vivre et à travailler dans des conditions précaires», pointe Nina Vladović. A Genève, une loi en cours d’examen prévoit que le revenu issu de l’apprentissage des jeunes ne soit plus pris en compte dans le revenu déterminant des parents pour obtenir les aides sociales. Une bouffée d’air qui aidera peut-être Roberto à perfectionner les techniques de piano jazz qui lui tiennent tant à coeur.