L’art de manger en pleine conscience

Le repas communautaire est servi à l’abbaye de Sravasti (Wash.), le 13 août 2018. / ©Tracy Simmons / RNS
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Le repas communautaire est servi à l’abbaye de Sravasti (Wash.), le 13 août 2018.
©Tracy Simmons / RNS

L’art de manger en pleine conscience

Tracy Simmons
7 septembre 2018
La nonne bouddhiste Thubten Chodron va publier un ouvrage où elle rassemble ses enseignements autour de la nourriture. Il s’agit de manger dans la compassion et la reconnaissance.

Thubten Damcho se tenait devant une demi-douzaine de plates-bandes débordant de légumes, tout en pensant à sa vie avant de devenir nonne bouddhiste. Par le passé, elle travaillait à Singapour et ne prenait que rarement le temps de bien manger. À cette époque, elle grignotait entre les réunions ou sortait au restaurant le soir pour socialiser et enrichir son réseau. À part les nouilles ramen, elle ne savait pas vraiment cuisiner.

Aujourd’hui, elle cuisine pour toute une communauté. Elle aide régulièrement à préparer des repas végétariens sains et simples pour une trentaine de personnes à l’abbaye de Sravasti, un monastère bouddhiste tibétain situé à environ une heure au nord de Spokane, dans l’État de Washington.

Thubten Damcho reconnaît que son abbesse, Thubten Chodron, a transformé sa façon de manger et de vivre. Thubten Chodron a fondé l’Abbaye de Sravasti il y a 15 ans. La question de la nourriture est abordée dans ses enseignements aux seize résidents permanents de l’abbaye.

La cuisine compatissante

D’ailleurs, elle a rassemblé ses idées dans son nouveau livre, intitulé «The Compassionate Kitchen Buddhist Practices for Eating with Mindfulness and Gratitude» (La cuisine compatissante: pratiques bouddhistes pour manger avec pleine conscience et reconnaissance). On y trouve des conseils sur comment on peut développer la compassion et la reconnaissance aux moments des repas. Le livre sortira en décembre prochain. Il est publié par Shambhala Publications.

Selon le bouddhisme, les luttes terrestres découlent de l’attachement. Et la nourriture ne fait pas exception. Thubten Chodron prend bien soin, cependant, d’expliquer qu’il n’y a pas de mal à aimer manger. «Le plaisir est une sensation de joie», explique-t-elle. «L’attachement, c’est quand on ne se contente pas d’en profiter simplement. On en veut plus et le meilleur. Il y a donc une envie, une recherche, un attachement, et c’est ce qui pose problème».

Dans son livre, elle enseigne les «Cinq Contemplations». L’ouvrage encourage l’alimentation consciente. Ce sont de courts versets conçus pour inspirer la réflexion sur la gentillesse de ceux qui ont préparé le repas, éloigner les mauvaises pensées, voir la nourriture comme un remède et chercher l’illumination.

Christian Wedemeyer, professeur associé en histoire des religions à l’Université de Chicago, explique que le végétarisme joue un rôle essentiel dans la plupart des traditions bouddhistes, mais ça n’a pas toujours été le cas. Il explique qu’au Ve siècle avant Jésus-Christ, du vivant du Bouddha, les moines mangeaient ce que les laïcs leur offraient, même si c’était de la viande qui n’avait pas été spécialement tuée pour eux.

Le plaisir est une sensation de joie. L’attachement, c’est quand on ne se contente pas d’en profiter simplement. On en veut plus et le meilleur. Il y a donc une envie, une recherche, un attachement, et c’est ce qui pose problème.
Thubten Chodron

Le végétarisme

«À un moment donné, la pensée bouddhiste a évolué», continue Christian Wedemeyer. «Avec le temps, le fait d’avoir de la compassion pour tous les êtres et de ne pas les manger a pris davantage d’importance, jusqu’à ce que toute consommation de viande devienne une violation de leurs pratiques.»

Le repas principal se prend à midi à Sravasti, en honneur à une coutume qui date du temps du Bouddha. Les 15 nonnes et le moine préparent, chacun à leur tour, la nourriture pour les résidents et la quinzaine de visiteurs. La majorité des invités sont bouddhistes; d’autres sont curieux de connaître cette tradition. Le repas est précédé par un précepte tiré du Dharma ou un enseignement public donné par un érudit bouddhiste. Thubten Chodron explique dans son livre que c’est une tradition bouddhiste de donner un enseignement en échange d’un repas.

Chanter avant les repas

Lors d’une récente retraite sur l’exploration de la vie monastique, ce sont deux nonnes, Thubten Semkye et Tenzin Tsepal qui étaient en cuisine. Au menu: du riz, du quinoa, de la peau de tofu, des légumes sautés, des haricots cannellini, de la salade, du guacamole et une tarte aux pèches avec de la crème glacée. Avant de commencer la préparation, elles ont chanté: «Nous avons la chance de pouvoir préparer et cuisiner cette nourriture. Elle va nourrir leurs corps. Et l’amour que nous mettons dans la préparation va nourrir leurs cœurs.»

Les chants, pour la plupart inclus dans le livre de Thubten Chodron, sont récités avant et après les repas. Thubten Chodron a aussi publié un chant pour faire les courses destiné aux lecteurs qui vont dans les épiceries. Quant aux religieux, ils ne mangent que ce qu’ils font pousser eux-mêmes ou ce qui leur est offert. Les chants rappellent également aux cuisiniers que la nourriture qu’ils préparent leur vient grâce à la bienveillance des autres.

Un petit groupe de bénévoles apporte régulièrement de la nourriture à l’abbaye.  Ils prennent soin d’y inclure seulement des ingrédients conformes au régime des religieux: pas de viande, d’oignons, de poireaux, d’ail ou de radis (des légumes qui exciteraient les sens). Même si parfois des bonbons apparaissent dans la cuisine, le but est de manger sainement.

Un témoignage d’amour

«Nous ne cuisinons pas pour plaire à qui que ce soit. On ne recherche pas les applaudissements», affirme Thubten Damcho. «C’est notre manière de montrer notre amour. Nous l’offrons et espérons que les gens en seront nourris.» Sarah Conover, écrivaine de Spokane, offre de la nourriture à l’abbaye et propose régulièrement de cuisiner pour les visiteurs et les résidents. «J’adore cuisiner pour les grandes assemblées et j’aime leur proposer quelque chose de spécial», explique-t-elle.

Le fils de Sarah Conover est un moine bouddhiste en Thaïlande, elle sait donc à quel point les résidents de l’abbaye apprécient de recevoir un repas. Christian Wedemeyer explique que de plus en plus de laïcs, comme Sarah Conover, sont en train d’intégrer des principes bouddhiques à leurs vies quotidiennes. «La nourriture est un remède», souligne Sarah Conover. «Il ne faut pas trop s’attarder sur ses préférences, sinon on devient un gastronome dans le ‘bardo’ (dans l’enseignement bouddhiste, c’est l’état entre la mort et le renouveau) et on n’en sort jamais. Et surtout, je récite toujours les Cinq Contemplations avant chaque repas.»

Se façonner le cœur

Selon Thubten Chodron, si on apprend à utiliser la nourriture avec respect, ça nous façonne le cœur. «Nous devons apprendre à accepter et manger tout ce qui apparaît sur la table.» Ce sentiment est repris par un chant qu’on récite au monastère avant de manger. «En considérant cette nourriture comme un remède, je la mangerai sans m’y attacher ni me plaindre, afin de ne pas accroître mon arrogance, ma force ou mon apparence, mais uniquement pour me maintenir en vie», racontent les paroles de la chanson.

Thubten Chodron a écrit 17 livres et en a édité 17 autres. Avec «La cuisine compatissante», elle souhaite présenter aux bouddhistes et aux autres personnes une manière différente de voir la nourriture que ce qu’enseigne la culture de consommation de masse. «Il y a quelque chose de très spécial et de sacré dans le fait d’offrir de la nourriture, de la recevoir, de manger ensemble, de chanter avant et après le repas», affirme-t-elle.

Tracy Simmons, Newport, État de Washington
Religion News Service/Protestinter

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