Le message renversant de Pâques

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Le message renversant de Pâques

23 mars 2005
Fête centrale du christianisme, Pâques semble parfois occulté par le succès populaire de Noël
Cette célébration reste pourtant au choeur même de la foi chrétienne, prodigieux mystère où la mort se transforme en vie et où renaît l’espérance. Pâques: à la fois événement fondateur de la foi chrétienne et fête dont le sens premier s’est perdu au milieu des oeufs et autres lapins en chocolat. Même Noël, dont le succès ne doit pourtant pas grand-chose à des origines religieuses, semble davantage associé au christianisme. « Le succès de Noël tient beaucoup à ce qu’elle représente fondamentalement un retour à l’enfance », note le professeur genevois Michel Grandjean. Rien de tout cela avec le moment pascal, intimement attaché à l’espérance fondatrice du christianisme, à ce « sceau que Dieu donne à l’Evangile ».

Le mot Pâques lui-même est une transposition du terme grec « pascha » qui signifie passage. Passage de la Mer Rouge, passage du Christ à travers la mort et du chrétien à la nouvelle alliance avec Dieu lors du baptême. Aujourd’hui, si l’on assiste à un renouveau des veillées pascales, notamment en Suisse romande, la force de ce message reste le plus souvent confinée à l’intérieur des Eglises. Alors que le récit de la Passion est central dans l'Evangile, c’est celui de la naissance de Jésus qui a fait recette. « Sans doute parce que tout ce qui concerne la vie et la naissance est aujourd’hui beaucoup plus à la mode que ce qui entoure la mort, même transcendée », note à l’Université de Lausanne le professeur Eric Junod. Dans l’Antiquité, rappelle-t-il, « la mort signifiait le début de la vraie vie », l’âme se détachant du corps vécu comme une prison. Rien de tel aujourd’hui, où seul compte l’épanouissement ici-bas. Un sens radicalement nouveauCette année, c’est à nouveau à des dates différents que chrétiens d’Orient et d’Occident célébreront la mort et la résurrection du Christ (lire encadré). Avant eux, la fête de la Pâque (Pesah) constituait la principale date du calendrier judaïque. Fixée le 14 du mois de « nisan », elle commémorait la sortie d’Egypte par les Hébreux, la traversée des eaux de la Mer Rouge et l’alliance entre Dieu et son peuple. La Pâque reçut un sens nouveau lorsque Jésus bénit le pain et le vin lors de la dernière Cène, la veille de son arrestation. Pour les chrétiens, la célébration de Pâques (au pluriel, cette fois) marque ainsi l’institution de l’eucharistie (la sainte Cène chez les protestants) et de la résurrection du Christ, triomphe sur la mort et le péché. Pâques n’en reste pas moins un mystère qui « échappe à notre compréhension, et à toute image, contrairement à la crèche imaginée par François d’Assise pour représenter l’enfant roi né dans le dénuement », explique encore Michel Grandjean. Le ressuscité a été vu, mais personne n’a été témoin de la résurrection, dont la signification profonde reste finalement, au delà des thèses théologiques, de l’ordre de l’intime. Pour Michel Grandjean, elle est exemple « promesse d’un au-delà, promesse que la la mort vers laquelle je me dirige n’est pas le dernier mot de Dieu sur la Création ». Pour l’écrivain et chroniqueur genevois Georges Haldas, la résurrection est « emblématique de ce passage de notre réalité avec toutes ses vicissitudes à l'éternité où tout est inversé ». Expérience personnelle et quotidienne, à travers l’exercice la mémoire qui renferme « une zone qui échappe à nos catégories terrestres, ouvrant un accès au Royaume ». Ou encore grâce à la pratique poétique, puisque « comme le corps, il faut que la phrase meure pour que naisse le sens, que les mots quittent la page pour dépasser l'espace et le temps ».De l’angoisse à la sérénitéBref, la fête de Pâques devrait être l’occasion de se rappeler que la résurrection n’est pas seulement ce qui adviendra après notre mort, mais une réalité qui commence aujourd’hui. « Chacun façonne, jour après jour, son visage d’éternité », selon Enzo Bianchi, fondateur et prieur de la Communauté de Bose, en Italie du nord. « Concrètement, l'expérience de la Pâque, nous la vivons non comme un passage de ce qui est entièrement fait de ténèbres à ce qui est entièrement fait de lumière, mais comme un passage du désespoir à l'espérance, de l'angoisse à la sérénité, du non-sens à l'acceptation, en des situations qui restent contradictoires, énigmatiques, difficiles, voire dramatiques". Ce « triomphe de l’amour sur la mort », écrit Enzo Bianchi, permet à chacun de se libérer de son moi biologique pour devenir pleinement homme, avec « un espace intérieur est suffisamment grand pour accueillir la vie même de Dieu ».