A Lausanne, les Cafés théologiques boivent la tasse

légende / crédit photo
i
[pas de légende]

A Lausanne, les Cafés théologiques boivent la tasse

2 juin 2005
Par la conjonction de crise budgétaire, de rigidités administratives et peut-être humaines, l’Eglise réformée vaudoise interrompt les Cafés théologiques lausannois, dont le succès ne s’est pourtant jamais démenti en 4 ans
Explications sur les raisons d’une « aberration », selon les termes de leur créateur, Jean-Daniel Hostettler. Un moment rare, une heure trente mensuelle à débattre librement des questions de vie et de sens, de Dieu comme de la mort, de la souffrance ou du mal. Durant quatre ans, les Cafés théologiques lausannois ont réussi l’impossible : inviter une pléiade de grands noms - de Jacques Chessex à Georges Haldas, de Thomas Römer à Thierry de Saussure – à dialoguer avec un public de tous âges, aussi nombreux qu’hétéroclite : protestants de souche mais aussi catholiques, distanciés ou tout simplement personne en recherche.

Mardi soir, au sud de Lausanne, la salle du « Milan » était ainsi une nouvelle fois bondée pour entendre la théologienne Lytta Basset évoquer une vie « entre pardon et oubli » (lire encadré). Debout, les gens se pressent même derrière le bar ou le long du mur. Même le patron abandonne son travail pour écouter et participer. Difficile d’imaginer que l’on assiste à la dernière soirée des « Théo-Café ». « Cela me semble ridicule, mais il n’y aura en effet rien à la rentrée, en septembre prochain », se désole leur créateur, Jean-Daniel Hostetller.Un abandon paradoxalAumônier des gymnases durant 14 ans, personnalité remuante de l’EERV, il se voit contraint de partir à la retraite, ayant atteint ses 35 ans de service. « Je devais partir à fin 2004, mais j’ai obtenu un délai pour terminer les activités en cours ». L’Eglise perd un brillant initiateur, également à l’origine des moments de méditation à succès de « Cantates et Paroles » ou encore de cycles de conférences très suivis. « Si un ministre a incarné ces dernières années une Eglise capable de se renouveler et de rejoindre les gens, c’est bien lui », estime l’un de ses confrères qui préfère rester anonyme. C’est que son côté fonceur et un peu « cavalier seul » est diversement apprécié au sein de l’institution. Certains y voient d’ailleurs la raison du peu d’empressement de l’Eglise à sauver les « Théo Cafés ». « On me dit que je rechigne à m’en aller. Ce n’est peut-être pas faux, mais en l’occurrence j’étais tout à fait prêt à remettre les clés des Cafés à un successeur ».

Il y a un paradoxe: une Eglise qui, comme ses homologues, cherche de nouvelles voies pour « rejoindre les gens là où ils en sont », et en particulier ceux qui ne mettent jamais les pieds au culte. Mais une institution qui, en même temps, abandonne l’une des nouvelles activités issues du processus Eglise à Venir (EAV) les plus remarquées. Et de surcroît l’une des seules formations d’adultes à caractère oecuménique, puisque Jean-Daniel Hostettler partageait l’animation des soirées avec la catholique Béatrice Vaucher. « Cette expérience avait quelque chose de l’ordre du témoignage d’une unité possible, estime cette dernière. Nous montrions la possibilité de cheminer ensemble malgré nos différences ».

Situation d'autant plus étonnante que les Cafés ne coûtaient pas grand chose: l'équivalent d'un dix pour cent de temps de travail et de quelques milliers de francs annuels. « Je me suis toujours débrouillé pour autofinancer ce que j'entreprends, ce qui est d’ailleurs la règle du service communautaire auquel j’appartiens. La quête de fin de soirée remboursait presque les frais; la salle nous était gracieusement mise à disposition par le patron du café qui encaissait les consommations », souligne Jean-Daniel Hostettler. La faute à « pas de chance »A entendre les acteurs du dossier, c’est un peu la faute à « pas de chance ». D’abord le contrecoup des mesures d'économies imposées par l'Etat de Vaud. « Tous les départements et régions de l'Eglise doivent opérer des choix et nous ne savions même pas si nous pourrions maintenir le demi poste dans lequel s’inscrivait l’organisation des Cafés après le départ de Jean-Daniel Hostettler», explique la présidente du dicastère Formation et Accompagnement Danièle Goumaz.

Les Cafés théologiques s’inscrivent dans le service de formation d’adultes de la région lausannoise (baptisé Farel), lui-même partie intégrante du service communautaire « Formation et dialogue ».

De fait, c’est l’ensemble de ce poste baptisé Farel qui risque de disparaître. « Cantates et Paroles », également initié par Jean-Daniel Hostettler, n’a pu être maintenu que grâce à la création d’une association privée en marge de l’Eglise. Les Cafés théologiques n’ont pas eu cette chance : les trois autres ministres engagés dans le service communautaire « Formation et Dialogue » ne se sentaient pas prêts à reprendre le flambeau, et le Conseil dudit service a décidé qu’ils ne faisaient plus partie de ses priorités. Danièle Goumaz : « Nous avons préféré attendre de voir si le poste Farel sera repourvu, avant de chercher un éventuel successeur ».

Le Conseil synodal, lui, renvoie la balle à la région concernée. « Au niveau cantonal, nous n’avons pas grand chose à dire puisqu’il s’agit d’un réaménagement des postes internes lausannois », souligne son membre permanent Antoine Reymond, qui avoue néanmoins « regretter » cette situation. De son côté, la présidente de la région en question, Anne-Marie Merle, estime « qu’il était impossible de continuer avec les forces actuelles ». Mais, selon elle, il existe des personnes intéressées au niveau cantonal. « Il faut donc maintenant trouver des moyens institutionnels ». Il se chuchote par exemple que la région de La Paudèze (Pully-Paudex) serait intéressée.

Une assurance qui ne convainc guère Jean-Daniel Hostettler : « On me répond que ce n’est pas grave si on arrête une année, que cela reprendra peut-être ailleurs ou sous une autre forme. On me dit aussi qu’il faut se renouveler, avoir d’autres idées. Mais j’attends toujours de voir lesquelles. Et je crois au contraire qu’il est très dommageable d’interrompre ce type de rendez-vous alors qu’il aurait au contraire fallu les multiplier à travers le canton ». Autre incertitude : la dynamique créée ici sera-t-elle facile à retrouver ailleurs ?