Philippe Cosandey, aumônier de prison : « Je n’amène jamais Dieu derrière les barreaux, il vient tout seul »

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Philippe Cosandey, aumônier de prison : « Je n’amène jamais Dieu derrière les barreaux, il vient tout seul »

13 juillet 2005
Serviteur de l’inutile: c’est ainsi que se définit Philippe Cosandey, aumônier des prisons depuis quinze ans, partageant actuellement son temps entre le Bois-Mermet à Lausanne et les Etablissements Pénitentiaires de la Plaine de l’Orbe (VD)
Ni psychiatre ni travailleur social, encore moins éducateur, flic ou gardien, pas de la « maison » et pourtant faisant partie de l’institution, il rend visite aux détenus dans leur cellule, sans objectif autre que celui de la rencontre de deux êtres dans leur humanité et de l’écoute de l’autre. Rencontre d’un défricheur d’âme. La gratuité, l’absence d’enjeux des visites de Philippe Cosandey aux détenus offre à ses interlocuteurs un espace de liberté, rare en milieu carcéral et précieux parfois pour affronter ses ombres intérieures. « Nous sommes les seuls à garantir une totale confidentialité, ce qui permet d’établir des rapports dans la confiance». Le regard bleu qui se fiche dans le vôtre, des bacchantes repérables loin à la ronde dont il lisse parfois les pointes, lorsqu’il réfléchit, le cheveu ras, Philippe Cosandey a des allures d’alpiniste solitaire ou d’aventurier des vastes plaines, un accent robuste et un langage direct qui n’effarouchent pas. Il cultive avec simplicité l’art d’être présent à ses interlocuteurs, évacuant soigneusement ses propres jugements de valeur sur les délits commis. « Quand j’entre dans la cellule d’un détenu, je ne sais rien de lui. Suivant l’établissement où je me trouve, – Philippe Cosandey partage ses journées entre les Etablissements de la Plaine de l’Orbe (EPO) et la prison du Bois-Mermet à Lausanne -, je sais seulement s’il est en préventive ou purge une peine. En fait, je vais trouver un être humain, peu m’importe ce qu’il a fait ».

Si le dialogue se noue entre le diacre de l’Eglise réformée vaudoise (EERV), tant mieux ! Si le prisonnier refuse de parler, se désintéresse ostensiblement du visiteur, voire le rabroue ou le menace, il repart sur la pointe des pieds. Déranger, l’homme d’Eglise veut bien, mais à la condition que son interlocuteur ait envie de l’être. Le respect de l’autre prime.

De ses visites, où parfois il entend l’indicible, - je suis capable d’entendre le pire sans ciller - Philippe Cosandey ressort parfois épuisé. L’air de rien, les émotions accumulées, ça pèse ! « Ca me touche, ce que vous me dites !» ; il lui arrive parfois de confier son empathie à son interlocuteur. Parfois confronté plus âprement à sa propre vie, il ressent le besoin de se vider, de s’alléger la tête, de faire le point. Alors il va marcher dans les vignes, près de chez lui. "J'ai tout perdu" Et Dieu dans tout cela ? « J’amène rarement Dieu avec moi, Il vient tout seul ! A un moment donné de la discussion, on arrive toujours aux vraies questions. En prison, qui est un condensé de la vie extérieure, on doit faire des deuils, chacun se coltine les questions du pardon, du sens de la vie, de la responsabilité individuelle, de la mort ». « J’ai tout perdu », est une phrase que j’entends souvent ». Parfois on reproche à « l’homme de Dieu » de se montrer impuissant, inutile, de ne servir à rien. « On veut parfois me considérer comme une sorte de « prêtre de la Mafia ». Je rends attentifs mes interlocuteurs à la terrible rage qui les habite et à l’immense souffrance qui se cache derrière elle ; parfois ça leur permet de se recadrer ».

Que font les gens des liens noués derrière les barreaux à l’heure de sortir de prison ? « Si on se croise par hasard dehors, je ne fais jamais le premier pas. Beaucoup d’anciens détenus ne souhaitent pas se rappeler leur incarcération. D’autres me téléphonent. Je les écoute et les aiguille vers un service adéquat en fonction de leur requête, mais je ne poursuis pas mon travail d’aumônier à l’extérieur.

Un groupe de travail issu du Conseil œcuménique d’aumônerie œcuménique est en train de plancher sur la création d’un relais pour la sortie de prison, un lieu d’écoute pour ex-taulards, qui s’appellera le « Pas de Porte ».