Les enterrements « mixtes » à l’épreuve du dialogue interreligieux

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Les enterrements « mixtes » à l’épreuve du dialogue interreligieux

2 septembre 2005
Un mariage célébré selon les deux traditions, musulmane et chrétienne, ne constitue plus tout à fait une exception
En revanche, ce mélange à l’occasion d’un enterrement constitue un phénomène nouveau. Eclairage, à travers deux exemples vaudois, d’une problématique complexe face à laquelle les outils manquent. A Vullierens, sur la côte vaudoise, le pasteur Marc Lennert en garde le souvenir lumineux d’une expérience inédite, pour lui comme d’ailleurs pour la grande majorité de ses confrères. C’était en avril 2004. Une habitante de la région vient le voir avec une demande à priori surprenante : conduire le service funèbre de son mari musulman, selon le rite chrétien mais avec un minimum d’éléments issus de la tradition islamique. « Je ne la connaissais pas bien, mais j’avais en partie suivi les moments très difficiles qui avaient précédé le décès de son époux », raconte le ministre.

Marocain exilé en Suisse, bénévole de longue date à Terre des Hommes, Rachid* travaille comme technicien au service des grands brûlés. Unanimement apprécié pour son écoute et son humanité, il rencontre Anne* sur son lieu de travail au milieu des années 80. Ils se marient, se passionnent pour la culture marocaine, ont deux enfants. Et puis soudain, durant l’été 2002, ce sportif accompli apprend qu’il est atteint d’un cancer déjà avancé. Suivront une longue période de souffrances, de traitements, de rémissions avant l’inéluctable fin. « J’avais été touché par cette situation et j’ai immédiatement accepté lorsque Anne m’a approché », explique Marc Lennert. Deux approches différentesPlusieurs mois avant sa mort, Rachid a pris une résolution : contrairement à beaucoup de musulmans, qui contractent une assurance pour le rapatriement de leur corps dans leur patrie d’origine, sa dépouille restera en Suisse, dans la bourgade où vit sa famille. « Le couple avait donc eu le temps de se faire à cette idée ». Préparer un tel service n’est pas simple. S’assurer l’aval du Conseil de paroisse, choisir minutieusement ses propos, trouver un texte biblique – dans l’Ancien Testament – suffisamment « neutre ». L’aide de pasteur Martin Burkhardt, responsable du dialogue interreligieux au sein de l’Eglise réformée vaudoise (EERV), aura été précieuse.

Pour le musulman, rappelle ce dernier, « le rite reste primordial ». Dans la pensée protestante, lors d’un décès, l’insistance est plutôt mise sur l’accompagnement et le soutien des familles. « Nous ne prions pas pour les morts, mais sommes là pour les vivants, ce qui est choquant pour eux », selon Martin Burkhardt. Respecter ce qui est important pour l’autreL’islam, en principe, demande trois choses : un lavage du corps par des mains musulmanes. Une prière spécifique lors de la mise en terre et l’alignement d’une corps, comme à la mosquée, qui le fait entrer dans une prière éternelle. « De par son choix, Rachid savait qu’il ne serait pas possible de remplir l’ensemble des règles de préparation de la dépouille », détaille Marc Lennert. Il pas pu non plus être enterré au milieu d’autres musulmans ; et pour des raisons pratiques la commune ne permet pas à sa tombe d’être tournée en direction de la Mecque. « En revanche, un passage du Coran a pu être lu par un ami tunisien lors de la descente du corps ». Alors qu’à l’inverse, le pasteur ne fait pas l’impasse sur la prière dite de consolation durant le culte. « Par ailleurs, un service musulman avait eu lieu à Los Angeles, où vivait l’une des soeurs de Rachid. Au Maroc, sa famille avait également organisé une cérémonie le jour suivant son décès. Tout cela a permis que chacun comprenne ce qui était important pour l’autre et le respectent pleinement », soulignent en coeur Martin Burkhardt et Marc Lennert.

S’il célèbre plusieurs mariages mixtes par année, ce dernier avoue qu’il s’agissait également d’une première pour lui. « Ce type d’enterrement est plus courant en France, où l’immigration musulmane est plus ancienne. Mais la fréquence va augmenter ici aussi : nés ici, les gens n’auront plus de raison d’être enterrés ailleurs ». Pour Martin Burkhardt, il serait donc souhaitable que ministres chrétiens comme musulmans soient un minimum préparés à l’affronter. « Nos imams, par exemple, connaissent très mal le christianisme. D’autant qu’un tel événement n’est pas seulement interreligieux, mais interculturel. Et c’est peut-être cet aspect-là le plus délicat ».

*Prénoms d’emprunt