Parution du tome II des écrits apocryphes dans la Pléiade:Ce que les Evangiles de l'ombre nous disent

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Parution du tome II des écrits apocryphes dans la Pléiade:Ce que les Evangiles de l'ombre nous disent

27 octobre 2005
Parution du second tome des écrits apocryphes chrétiens dans la Pléiade sous la direction de Jean-Daniel Kaestli, professeur de théologie à Lausanne
Au sommaire de cette mine de textes, dont certains sont inédits, on trouve Le Livre du Coq, récit merveilleux de la Passion, où un volatile espionne Judas, et l’Evangile de Marie, texte d’origine que devraient lire les fans du best seller de Dan Brown, "Da Vinci Code". Fascinants, ces écrits fourmillent de détails piquants et inconnus. Mais pourquoi ont-ils été écartés des Evangiles canoniques ? Interview.Cette nouvelle collection de textes apocryphes, cinquante en tout, la plupart traduits en français pour la première fois, est l’œuvre d’une équipe de chercheurs sous la houlette de Jean-Daniel Kaestli. Elle fait une large place à des écrits qui sont apparus et ont été transmis dans des aires religieuses et linguistiques autres que le monde byzantin et l’Occident latin. On y trouve notamment des traductions de textes originaires d’Egypte, rédigés en copte, comme l’« Histoire de Joseph le charpentier » et l’« Homélie sur la vie de Jésus et son amour pour les apôtres », des apocryphes arabes et éthiopiens, comme le « Livre du coq », ou encore des écrits issus de la tradition arménienne comme le « Martyre de Thaddée » et le renversant « Dialogue du paralytique avec le Christ », conservé en arménien et en géorgien.

La majorité des pièces présentées dans ce recueil, représentatives de courants anciens et originaux du christianisme, ont vu le jour entre le 4e et les 7e et 8e siècles, à l’exception de l’Evangile de Marie, qui date du 2e siècle. Cette édition contient aussi quelques compositions médiévales tardives, comme la « Mort de Pilate », qui reproduit une source de l’époque des croisades. Enfin, elle réunit pour la première fois en traduction française les deux versions du « Roman pseudo-clémentin », qui retrace l’histoire de Clément, un jeune païen converti par l’apôtre Pierre, qui en fera son successeur à la tête de l’Eglise de Rome. En découvrant ces écrits que l’Eglise n’a pas admis dans le canon biblique, on en vient à se demander pourquoi ils ont été écartés, et s’ils l’ont été à cause de leur origine douteuse.Jean-Daniel Kaestli : Il n’y a jamais eu, pour fixer les limites du Nouveau Testament, de décision autoritaire d’un concile ou d’un groupe d’évêques. Le recueil s’est constitué de manière progressive. A la fin du 2e siècle, la plupart des 27 livres qui le compose aujourd’hui sont déjà reconnus par les principales Eglises chrétiennes. On oppose souvent, à tort, les textes apocryphes au Nouveau Testament, comme s’ils avaient eu la prétention de faire partie du recueil canonique. A de rares exceptions près, ils n’ont pas été écrits pour faire concurrence aux textes du Nouveau Testament, mais pour les rendre plus clairs et plus parlants. Ils répondent à des questions qui demeurent en suspens dans les récits canoniques. Prenons par exemple l’Evangile de Marie : il contient une révélation que Marie-Madeleine a reçue en particulier de la bouche de Jésus, lors d’une vision. L’idée s’appuie sur le récit de l’apparition du Christ à Marie-Madeleine dans l’Evangile de Jean (20,14-18), qui s’arrête net après les mots: « J’ai vu le Seigneur, et voilà ce qu’il m’a dit ». L’Evangile de Marie prend le relais du récit ancien de Jean : Marie communique aux autres disciples le contenu de l’enseignement que Jésus lui a confié en privé. Les apôtres, notamment Pierre, s’étonnent et s’indignent de ce privilège : quel crédit accorder à un enseignement reçu dans une vision personnelle, et qui plus est par une femme ? Cette réaction reflète la position qui deviendra dominante dans l’Eglise : seuls les apôtres hommes sont autorisés à transmettre ce qu’ils ont appris de Jésus. Mais l’Evangile de Marie nous fait entendre une autre voix, minoritaire. Il donne le dernier mot à Lévi, qui prend la défense de la Magdalénienne et reconnaît pleinement la valeur du témoignage de la femme.

Comment se fait-il que certains textes survivent et que d’autres se perdent ? J.-D. Kaestli : La question de la transmission et de l’état de conservation des textes est essentielle, car elle permet de s’orienter dans la masse des écrits apocryphes. Certains textes ne sont plus connus que par leur titre ou par des fragments. De l’Evangile de Marie par exemple, il ne subsiste qu’une partie ; le manuscrit copte est lacunaire, et il manque notamment les six pages du début. Des textes auraient complètement disparu si le hasard des découvertes ne les avait ramenés au jour, comme ceux qui furent trouvés à Nag Hammadi en 1945. A l’inverse, d’autres écrits ont survécu parce qu’ils n’ont jamais cessé d’avoir des lecteurs assidus ; ils ont été constamment copiés et transmis dans des groupes dont ils alimentaient la piété, à l’exemple du « Livre du coq » dans l’Église éthiopienne. Les écrits apocryphes témoignent souvent d’une utilisation réfléchie de l’Ecriture, au service de l’argumentation et de l’enseignement théologique. Ils constituent, avec les textes canoniques, ce qu’on pourrait appeler une Bible populaire. A côté de l’exégèse savante et des commentaires des théologiens, ils contribuent à enrichir le texte biblique d’une série d’interprétations, d’amplifications et d’épisodes supplémentaires. Les écrits apocryphes témoignent ainsi d’une conception large de l’Ecriture, incluant non seulement le recueil clos des livres bibliques, mais aussi un ensemble plus vaste et ouvert de textes extérieurs au canon. Écrits apocryphes chrétiens, II. Édition publiée sous la direction de Pierre Geoltrain et Jean-Daniel Kaestli (Bibliothèque de la Pléiade), 2208 pages, 2005.