Regards croisés sur le pentecôtisme:L'avenir est-il au christianisme de l'émotion ?

légende / crédit photo
i
[pas de légende]

Regards croisés sur le pentecôtisme:L'avenir est-il au christianisme de l'émotion ?

16 novembre 2005
Le monde pour paroisse : la formule choc de Jean-Pierre Bastian, sociologue des religions invité à l’Université du troisième âge à Lausanne, résume bien le formidable déploiement du pentecôtisme, ce christianisme de l’émotion et de la conversion
Ce n’est en effet pas moins d’un demi milliard de chrétiens dans le monde qui se réclament d’Eglises évangéliques, comme le rappelle Sébastien Fath dans son dernier livre sur le protestantisme évangélique en France. Explications.Professeur à l’Université de Strasbourg, auteur d’une étude sur « Le protestantisme en Amérique latine » aux éditions Labor et Fides, Jean-Pierre Bastian a pu observer de près le formidable essor du pentecôtisme en Amérique latine, plus précisément depuis Mexico où il a enseigné. Cette expansion a peu à peu déplacé le centre géopolitique du christianisme des pays du Nord à ceux du Sud. Ironie de l’histoire : l’Europe, grande pourvoyeuse de missionnaires au 19e siècle, est désormais considérée par les pentecôtistes, - 11'000 dénominations pentecôtistes différentes recensées dans le monde - et les différentes Eglises évangéliques du Sud, comme un terrain d’évangélisation par le biais de la diaspora.

Ce christianisme de conversion, lancé en 1906 par un pasteur noir dans un quartier pauvre de Los Angeles, a séduit les masses défavorisées sud-américaines, qui ont trouvé refuge dans cette foi simple et démonstrative. Un clergé local, d’origine très humble, constitué de prédicateurs de rue, dont la parole est peu à peu relayée par des radios locales et des télévisions privées qui appartiennent au mouvement, donne au pentecôtisme son élan aussi bien au Chili, au Mexique, au Brésil, en Argentine, qu’en Afrique de l’Ouest . Dans les années 1967-68, les conversions enregistrées passent presque inaperçues. Pourtant la révolution silencieuse du pentecôtisme est bel et bien en marche.

Les pentecôtistes pratiquent le prosélytisme et leur expansion, procède d’une logique de marché bien rôdée. Ils développent une importante industrie de la communication en éditant des livres, des CD, des films, en organisant des cultes spectacles, en ayant leurs propres chaînes de télévision. Dès 1994, le mouvement des « born again » s’implante massivement dans les banlieues des grandes villes où échouent en nombre des paysans pauvres venus tenter leur chance. Transformer l’homme, pas la sociétéLe mouvement qui a emprunté certaines des croyances populaires des pays où il s’implante, permet aux migrants de reconstruire la communauté rurale qu’ils ont quittée et de restructurer leur identité. Ils ne sont plus des citoyens de seconde zone mais cherchent, à travers une communauté élective, fraternelle et solidaire, à vaincre la misère et à s’en sortir. Le pentecôtisme devient pour les gens de la marge un moyen de s’exprimer, d’exister en tant qu’acteurs sociaux indépendants, loin des partis politiques qui les ont ignorés la plupart du temps. Pas question pour les adhérents de cette nouvelle religion de changer la société mais de transformer l’homme notamment par une éthique de vie rigoriste.La foi qui guéritNé dans un contexte multiethnique, le pentecôtisme s’inscrit dans les mouvements revivalistes nord américains et relève de la tradition orale. Il met tout particulièrement l’accent sur le Saint Esprit et l’expérience émotionnelle de la présence divine. Les convertis estiment que les temps prophétiques sont venus où l’esprit de Dieu va réitérer les manifestations miraculeuses observées pendant et après la Pentecôte. Ils attendent des preuves de la réalité de l’amour divin dans leur vie, des miracles et des guérisons. La maladie étant considérée comme un signe de malédiction, on exorcise les démons et la foi prend une dimension thérapeutique. La « communauté d’espérance » des adhérents leur apporte fraternité et solidarité. Ni théologie ni principes régulateurs, mais une lecture littérale et fondamentaliste de la bible, et un rigorisme éthique qui sert à vivre de façon à éviter l’enfer et à gagner le salut. Jean-Pierre Bastian explique que le pasteur pentecôtiste latino-américain construit son pouvoir religieux, non sur la base d’un formation théologique mais sur son charisme et sa capacité à expliquer le malheur social du monde environnant et d’y répondre par des actes « surnaturels », en particulier par des « pratiques thaumaturgiques ». La rituel de la louange permet de gérer l’émotion. La glossolalie y est pratiquée, c’est-à-dire le « parler en langues » (glossolalie), à portée de chacun, même de celui qui n’est pas instruit.

Si les Eglises pentecôtistes d’Afrique et d’Amérique latine sont millionnaires en nombre d’adeptes, (parmi lesquels il y a beaucoup de jeunes), elles le sont souvent aussi sur le plan financier. Car la collecte est incontournable et les méthodes pour remplir les caisses sont expéditives. Le droit aux miracles, ça se paie. Le salut a un prix. Le temps des indulgences serait-il revenu, que combattirent les protestants de la première heure ?Le christianisme de demain ?Ces nouveaux pratiquants, dynamiques et conquérants, n’annoncent-ils pas le christianisme de demain ? Une mise en perspective s’impose, estime Sébastien Fath dans son livre « Du ghetto au réseau », sur le protestantisme évangélique en France. Car la communauté des évangéliques est loin d’être homogène mais s’avère extraordinairement fragmentée. L’institution n’ayant pour elle aucune valeur sacrée, on la change, la recrée, la scinde autant de fois que c’est nécessaire. Par ailleurs, elle n’est pas à l’abri des dérives sectaires. L’ascendant autoritaire exercé sur la vie quotidienne et l’intimité du converti, le contrôle social communautaire étroit auquel est soumis le fidèle suscitent souvent malaise, parfois crise et sortie de l’eglise ou du mouvement. L’œcuménisme y est souvent dénoncé comme « équivoque, envahisseur et même persécuteur ». Enfin la crédibilité du mouvement dans la société environnante extérieure n’est pas pour lui un problème. « Seule importe la consolidation interne de la communauté évangélique en attente du « retour du Seigneur », constate Sébastien Fath.Sébastien Fath, Du ghetto au réseau, le protestantisme évangélique en France, 1800-2005, éd. Labor et Fides.