Dire Dieu, un casse-tête à l'heure où les jeunes craignent d'être embobinés
5 février 2007
« Mes enfants ne croient pas en Dieu, ai-je fait tout faux ? »
Beaucoup de parents croyants se sentent coupables d'une rupture de la transmission. Mais la foi peut-elle se transmettre comme on transmet des connaissances, une culture religieuse ou des valeurs de justice et de solidarité ? Et si les jeunes empruntaient d'autres chemins pour chercher à donner sens à leur vie, et si pour répondre à leurs questions, il fallait changer radicalement d’approche et de langage et s’interroger sur leurs résistances. Entretien croisé de Virgile Rochat, aumônier des Hautes Ecoles à Dorigny, et de Roland Benz, modérateur de la Compagnie des pasteurs et diacres de l'Eglise protestante de Genève, très impliqué auprès des jeunes.Aumônier protestant pour les Hautes Ecoles à Dorigny, Virgile Rochat analyse avec lucidité pourquoi les jeunes, dans leur majorité, ne viennent pas spontanément à l’aumônerie. Pour lui, il y a dans leur attitude un peu d’indifférence, pas mal de méfiance et parfois du rejet. Virgile Rochat:Une majorité d’étudiants se méfie des institutions, et partant, de l’Eglise. Leurs arguments sont souvent bons et il faut savoir les entendre et s’intéresser aux raisons qui les poussent à être sur leurs gardes, voire même hostiles au message que nous voudrions faire passer. Dans les années 70, on a assisté à une rupture de la transmission. Les enfants ont décidé de ne plus suivre aveuglément é’exemple de leurs parents, mais de se forger leurs propres valeurs, d’inventer leur propre voie. Or, l’Eglise, avec laquelle les jeunes ont rompu, est encore attachée à la société ancienne, qui était basée sur l’autorité, le respect de la tradition, la soumission. Roland Benz :Les jeunes craignent avant tout qu’on leur mette le grappin dessus. Quand on creuse la question, on s’aperçoit qu’ils ne veulent pas appartenir à une institution. Mais cela ne veut pas dire qu’ils ne sont pas en quête de spiritualité, qu’ils ne cherchent pas des signes de la présence du divin dans le monde.Peut-on parler de faillite de la transmission ?Virgile Rochat :Ce que l’on appelle faillite de la transmission est en fait un phénomène de société dû à la modernité. Nous ne sommes pas responsables de façon personnelle de ce désintérêt pour le religieux et il ne faut surtout pas culpabiliser.Roland Benz :C’est un problème de société qui touche toutes les générations. Nous sommes dans une société de l’instant, de l’événementiel, de l’individuel. Or l’Eglise est dans un autre rythme et s’inscrit dans la durée. Elle ne communique pas selon les canons de la transmission moderne.Si les jeunes se méfient des Eglises, ils militent volontiers dans des organisations alter mondialistes ou anti-racistes.Virgile Rochat :Ils ont retenu les valeurs de justice et de partage que leur entourage a cherché à leur transmettre, ainsi ils préfèrent les ONG aux institutions pour satisfaire leur besoin de solidarité et de justice. Ils choisissent volontiers de militer à Amnesty International. Ils ne cherchent pas à savoir d’où viennent les valeurs fondatrices de ces organisations. Ils n’ont souvent que peu de culture religieuse et peu de racines. Roland Benz :Les jeunes sont très troublés par les catastrophes, les guerres dont leur parlent à longueur de semaine les médias. Ils se révoltent contre l’injustice et doutent de Dieu qui n’intervient pas. Or, la foi chrétienne, ce n’est pas la croyance en un Dieu tout puissant qui agirait à notre place. Virgile Rochat :Quand des jeunes me disent qu’ils sont athées ou agnostiques, je leur demande quelle est l’image qu’ils se font du dieu qu’ils rejettent. Souvent ils trouvent insupportable l’idée que Dieu n’agisse pas, alors qu’ils jugent qu’il devrait intervenir. J’essaie de leur montrer que ce Dieu-là, dont ils sont déçus, est plus une idole qu’une réalité. Je les invite à lire la Bible avec d’autres lunettes. Il faut travailler de façon radicalement différente dans ce contexte difficile ? Virgile Rochat :Il nous faut changer de point de vue, quitter nos certitudes, nos sécurités, mais aussi notre superbe. Pour ma part, je cherche à rejoindre les jeunes que je côtoie là où ils sont, à travailler avec eux, plutôt que pour eux. Je vais tel un mendiant avec d’autres mendiants, avec peut-être quelques informations qu’ils n’ont pas pour les aider dans leur quête d’humanité, prêt à les accompagner dans des « itinéraires de sens ». Car il ne faut pas se leurrer : les jeunes ont de vraies demandes spirituelles. Certains font un chemin sans l’institution de l’Eglise. D’autres grappillent les réponses qu’on peut leur proposer. Elles ne passent plus par un langage devenu obscur, dépassé et qui prétend exprimer la vérité. Roland Benz :Dans son petit livre « Sur le seuil, les protestants au défi du témoignage », Laurent Schlumberger rappelle que que l'annonce de l'Evangile et la découverte de la foi sont de l'ordre de la rencontre authentique, faite de paroles, de gestes mêlés, de conviction et de respect conjugués. J’aime bien prendre l’exemple de Taizé où affluent beaucoup de jeunes. Pourquoi viennent-ils ? Parce qu’ils y vivent quelque chose qui est hors de toute pression, on ne cherche pas à les séduire par des shows. Ils ont le sentiment qu’on ne cherche pas à les embrigader. On leur offre tout simplement la possibilité d’être avec les autres en silence, de trouver des espaces de paix, où ils sont appelés à être en contact avec eux-mêmes et avec Dieu, ce qui ne leur est pas souvent offert dans la vie courante. Souvent, les jeunes que j’ai accompagnés à Taizé me disent au retour qu’ils ont soudain envie de prier. Ils ont peut-être découvert que pour Dieu chacun compte inconditionnellement et que cette relation fondamentale demeure à jamais imprenable.