« Le Code pénal suisse doit punir expressément l’excision »

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« Le Code pénal suisse doit punir expressément l’excision »

8 mars 2007
Mandaté par l’UNICEF, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance, le professeur de droit pénal fribourgeois Marcel A
Niggli et sa collaboratrice Anne Berkemeier publient un avis de droit sur les mutilations génitales féminines. Ces pratiques sont punies par le Code pénal au moins à titre de lésions corporelles simples qualifiées, si ce n’est de lésions corporelles graves. Les auteurs recommandent aujourd’hui de le préciser dans la loi.130 millions de femmes sont excisées dans le monde, et toutes les dix secondes, une petite fille subit le même sort. Une réalité qui ne concerne plus uniquement quelque 28 Etats africains et autres pays lointains, puisqu’une enquête de l’UNICEF, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance, a révélé il y a six ans que près de 7000 femmes et fillettes excisées vivaient en Suisse. En outre, c’est dans les cantons de Suisse romande que les professionnels de la santé interrogés il y a trois ans ont le plus souvent affirmé avoir été en contact avec une femme ou une fillette excisée. Ce résultat s’expliquait par le fait que les femmes originaires de Somalie, d’Ethiopie et d’Erythrée, les plus souvent touchées, s’établiraient en majorité dans la partie francophone de la Suisse. « Cette pratique est tellement inacceptable dans une vision du monde moderne qu’il faut, à notre avis, que le code pénal la punisse expressément. Elle est d’ailleurs condamnée en Afrique du Nord comme contraire au Coran par de nombreux leaders musulmans», indique Marcel A. Niggli, professeur de droit pénal à l’université de Fribourg.

Sur mandat de l’UNICEF, il publie aujourd’hui avec sa collaboratrice Anne Berkemeier un avis de droit portant sur les formes les moins sévères de l’excision, soit l’incision du capuchon du clitoris et d’autres formes de mutilations génitales féminines, telles la perforation, l’incision ou la brûlure du clitoris et des tissus avoisinants, ou encore l’introduction de sel, de substances corrosives ou d’herbes dans le vagin afin de provoquer un saignement censé resserrer l’orifice. Malgré leur gravité, ces mutilations ne sont en général qualifiées que de lésions corporelles simples, en dépit du fait que l’on ne s’en tienne généralement pas à percer, entailler ou retrancher le capuchon du clitoris, mais que l’on enlève en même temps une partie du clitoris lui-même. « Si le clitoris est ôté, un organe important du corps est perdu ou rendu incapable de fonctionner ; on peut donc parler de lésion corporelle grave (art. 122 CP). C’est le cas de l’excision au sens propre et de l’infibulation (ablation presque complète des parties génitales externes, suivie d’une suture des lèvres presque complète), auxquelles le professeur zurichois Stefan Trechsel a consacré un premier avis de droit voici trois ans. Pour les autres formes de mutilations génitales féminines, la qualification est difficile, d’autant que selon la doctrine dominante, il est possible de consentir à une lésion corporelle simple. A notre avis, il s’agit en tout cas de lésions corporelles simples qualifiées (art. 123 ch. 2 CP), punissables d’office puisque commises sur des enfants de 4 à 7 ans, soit des personnes sans défense sur lesquelles il convient de veiller (cet acte serait aujourd’hui effectué de plus en plus jeune, notamment sur des nourrissons). En outre, qu’il s’agisse de couteaux, de lames de rasoir, de morceaux de verre, de pierres pointues ou de couvercles de boîtes de conserve, les outils utilisés lors de cette opération sans aucune anesthésie sont à coup sûr des objets dangereux. », commente le professeur Niggli. La question du consentement est vite réglée, puisque, en droit suisse, un mineur de moins de seize ans ne peut prendre une décision d’une telle importance. Quant aux parents, ils ne peuvent choisir d’aller à l’encontre de l’intérêt de leur enfant.

L’étude fait d’ailleurs peser une lourde responsabilité sur les parents, qui peuvent être punissables en tant que coauteurs s’ils participent directement à la mutilation (par ex. en tenant l’enfant durant l’opération), et en tout cas de complicité. « Celui qui se contente de commander de manière très vague une mutilation correspondant à la coutume locale envisage la possibilité qu’il en résulte des lésions corporelles graves », notamment au vu des circonstances (manque d’hygiène, opérateurs le plus souvent incompétents) entourant l’acte. « Dans la plupart des cas, l’instigation par les parents est réalisée. Ce sont eux en effet qui veulent cette mutilation et qui en confient la tâche à d’autres ». Ce comportement est aussi constitutif de violation du devoir d’assistance ou d’éducation (art. 219 CP), car il met en danger le développement physique ou psychique du mineur, lorsqu’il ne l’entrave pas totalement. En outre, si une telle intervention a lieu dans un hôpital privé, non seulement le médecin, mais son supérieur et l’hôpital lui-même peut en répondre.

Tout ceci ne vaut cependant que si le droit suisse est applicable. Ce sera le cas si la mutilation est pratiquée en Suisse ; bien que la loi l’interdise, 208 soignants avaient déjà entendu parler en 2004 de mutilations effectuées sur des petites filles dans notre pays. L’acte est cependant plus souvent commis à l’étranger, « mais si les parents décident ici de la mutilation, il est possible d’appliquer le droit suisse. De même si la victime ou ses parents ont la nationalité suisse. En effet, la plupart des pays où les mutilations sont pratiquées ont des dispositions légales qui condamnent cet acte, même si elles ne sont pas appliquées. » Faire figurer dans le Code pénal une mention des mutilations génitales dans le cadre des arts 122 ou 123 CP « peut constituer un signal envers une population généralement peu informée de nos lois. Dans la conception historique, le code ne doit pas servir qu’aux juristes, mais doit aussi permettre à l’homme de la rue de comprendre ce qui est permis et ce qui ne l’est pas », conclut Marcel A. Niggli. En France, en Angleterre et en Allemagne, l’interdiction légale expresse de l’excision est déjà réalisée ou en discussion.