Abdennour Bidar imagine un « self-islam » tolérant qui concilie l’Orient et l’Occident

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Abdennour Bidar imagine un « self-islam » tolérant qui concilie l’Orient et l’Occident

21 mai 2007
« L’islam a un avenir occidental, mais sous une forme radicalement renouvelée par les valeurs modernes de liberté, de conscience, d’égalité des sexes et de tolérance »
Telle est la conviction qu’Abdennour Bidar a exposée samedi au Congrès de l’Association Internationale Soufie Alâwiya (AISA) qui s’est déroulé à Lausanne. Français, né en Auvergne et musulman, ce professeur de philosophie de 35 ans n’affiche aucun signe extérieur de sa religion. Il a passé sa jeunesse à chercher, souvent dans la douleur, à concilier ses deux identités et à imaginer un islam adapté à l’Europe, qui sait accueillir sa propre diversité et n’exige pas des pays d’accueil des droits à part. Interview.Né en Auvergne d’une mère française, convertie à l’islam, qui lui a donné un prénom musulman, le petit Abdennour (lumière du Seigneur) a très vite rencontré des problèmes aussi bien parmi les immigrés maghrébins qui s’adressaient à lui en arabe, alors qu’il n’en connaissait pas un traître mot, qu’avec son grand-père bien-aimé, un humaniste athée, pour qui la conversion de sa fille faisait problème. Il a connu, de par sa double appartenance, toutes les exclusions. Aujourd’hui professeur de philosophie à Nice, il a inventé un islam original pour concilier ses deux identités. Il l’a expliqué dans un livre, « Self islam » (paru aux éditions du Seuil), que les tenants d’un islam conservateur, voient d’un mauvais œil. Il y imagine un islam tolérant qui concilie les valeurs de l’Occident et de l’Orient.Le « self islam », titre de votre dernier livre, c’est quoi ?C’est un islam personnel que chaque individu doit pouvoir choisir en son âme et conscience, selon ses propres besoins et ses aspirations spirituelles, et non en fonction de lois, d’habitudes ou de coutumes. Mon islam n’a plus rien de religieux, ce n’est pas un islam du rite, mais de la vision, un islam qui célèbre la diversité, la richesse et la signification profonde de toutes les différences du monde, un islam de fraternité et non pas un islam de repli communautaire, un islam du respect de la nature et de la contemplation d’Allah dans la diversité du monde. Je m’oppose à un islam qui réclame des droits à part, qui proclame qu’il n’y a qu’une vérité unique, qui impose la soumission à l’autorité de la tradition ».Croyez-vous au choc des civilisations prédit par le politologue conservateur américain Samuel Huntington ?Non. S’il y a choc, c’est entre pauvres et riches, entre la notion de mondialisation et la notion d’humanité, trop souvent méprisée. Nous sommes en Occident en pleine période de perte du sacré, mais la dimension spirituelle de l’existence n’a pas pour autant disparu. Si l’islam reprocheà l’Occident d’avoir perdu tout sens du sacré, l’Occident blâme l’islam d’avoir fait de son sacré une vérité terroriste ; chacun ne sert à l’autre que de prétexte pour ne pas assumer sa propre crise du sacré. L’Occident voudrait oublier, voire justifier son matérialisme absurde en dénonçant la spiritualité totalitaire de l’islam, alors que celui-ci a n’a plus accès à son propre génie qui est de comprendre et d’accepter toutes les croyances, et toutes les sensibilités humaines comme autant de facettes d’Allah, le Vivant universel, source et forme de toute cette diversité.

Vous appelez les musulmans à ne pas se borner à revendiquer un droit à la différence dans les sociétés occidentales.

J’appelle les musulmans à apprendre aussi à reconnaître ce même droit au sein de leurs propres communautés et à accepter la diversité, de donner du sens plutôt que d’imposer du sens.C’est beaucoup demander, non ?Demander aux musulmans de transformer en profondeur leur mode d’existence ne va pas de soi et ne peut se faire que sur plusieurs générations. C’est pourquoi de part et d’autres, il faut avoir beaucoup de patience. La première génération d’immigrés venue en Europe est souvent dans une situation d’analphabétisme et d’acculturation grave, ce qui retarde le processus. Pour ma part, je m’appuie sur l’émergence d’une classe moyenne, qui ne connaît pas la situation difficile des générations d’avant. Il serait illusoire de croire qu’on va transformer d’un coup les réflexes de soumission acquis par la conscience musulmane. Mais je voudrais que cette conscience réussisse l’alliance de la liberté et de la vie spirituelle. Je mets tout mon espoir dans les jeunes générations de musulmans nés en Europe, qui ont compris qu’il y avait un certain nombre de valeurs, comme la liberté de pensée, de choix religieux et l’égalité entre les sexes, qui sont incontournables et qu’ils ont intégrées. Vous souhaitez voir émerger en Europe une citoyenneté spirituelle qui élargirait la compréhension politique et sociale de la citoyenneté, en lui insufflant une dimension spirituelle.C’est la clé pour poursuivre la grande aventure de la politique européenne, aujourd’hui en panne. L’éducation sera l’un des lieux-clés de mutation nécessaire. Ma revendication est qu’il faut, à travers l’école notamment, développer un autre type de conscience. Je crois qu’à l’heure actuelle, cette dimension spirituelle manque singulièrement à notre liberté occidentale. Comment les musulmans réagissent-ils à votre islam « à la carte » ? J’ai enregistré des réactions très contrastées, de l’agression verbale à l’ostracisme. Beaucoup me disent que ma cause est perdue d’avance. Mais régulièrement aussi, des musulmans sont venus me dire : « Vous avez mis des mots sur ce qu’on cherche à construire au jour le jour ». Mon discours sur l’islam est libérateur pour eux, il les délivre de certaines pesanteurs de la coutume qui les étouffe.