Georges Haldas: «L’avenir de la religion est dans la relation»

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Georges Haldas: «L’avenir de la religion est dans la relation»

21 décembre 2007
Plongé dans le noir en raison d’une vue affaiblie, Georges Haldas conserve, à 90 ans, une lucidité et une vivacité d’esprit éblouissantes
Leçon de vie.En dépit de l’âge – dont il n’aime pas qu’on parle –, Georges Haldas travaille. Du matin au soir. Lorsqu’on évoque son dernier livre* en soulignant le rythme effréné de ses parutions, il sourit en nous confiant qu’il a pas moins de quatorze ouvrages en préparation, sans compter les quelques 600 poèmes déjà composés qu’il entend trier en vue d’une publication.

L’homme est un monument de la littérature genevoise, mais se moque des honneurs. L’exposition «Confessions genevoises, de Jean-Jacques Rousseau à Georges Haldas» actuellement visible au Musée Voltaire** ? «Gentiment inutile», répond l’intéressé. Incursion dans l’univers d’un homme passionné par la vie.D’où provient votre extraordinaire fécondité littéraire?C’est organique, comme un arbre: le tronc, qui est l’état de poésie, produit des rameaux qui partent dans plusieurs directions. Le livre en cours porte déjà les germes du livre à venir, cela s’enchaîne organiquement. Je n’ai pas besoin de réfléchir au sujet de mon prochain livre, chaque thème est simplement le développement d’une préoccupation fondamentale: l’état de poésie. C’est une disposition psychique dont j’aurais de la peine à définir l’origine, un mélange infiniment complexe de dispositions natives et d’influences familiales et culturelles caractérisé par une hyper réceptivité et une disposition innée à s’émerveiller.Quelles ont été vos influences familiales?Je tiens de mon père un questionnement métaphysique profond. Mon père n’était pas du tout versé dans la religion, mais il était tenaillé par les grandes questions de l’existence, dont il m’entretenait pendant de longues promenades à Céphalonie, en Grèce. L’héritage de ma mère, paralysée pendant 50 ans, est celui de l’écoute, de l’ouverture à l’autre, de la sensibilité. Par conséquent, ce qui m’a marqué c’est un sens métaphysique, la réceptivité typiquement féminine et la simplicité de langage. Avez-vous toujours écrit?Non, c’est venu assez tard. Au collège, je n’étais pas foutu de rédiger une composition. C’est grâce à un professeur, qui a eu l’intelligence de me demander de brosser le portrait d’une belle femme, Hélène de Troie, que l’envie d’écrire m’est venue. J’ai pondu 130 pages d’un coup.

Par la suite, le moteur de l’écriture a toujours été l’envie de témoigner de la vie. Je me fous de faire une œuvre littéraire, je n’ai jamais écrit dans ce but. Non, ce qui m’importe, c’est, à travers l’écriture, de dire la beauté de la vie, ses horreurs aussi, et de dire son mystère profond, c’est-à-dire ses liens avec l’invisible. On est tout près, là, d’une disposition religieuse. Mais une disposition religieuse qui ressort de l’expérience, du vécu et non de la dogmatique ou du clérical.Etes-vous sensible aux efforts en faveur de l’œcuménisme?J’ai le sentiment que les réalités confessionnelles sont totalement anachroniques et désuètes. Elles n’existent pas pour moi. Il se trouve que j’ai été baptisé orthodoxe, mais je pense que les compartimentages confessionnels sont des obstacles à la relation. Par ailleurs, les grands magnats de l’œcuménisme se mettent souvent d’accord pour la forme, mais ne mettent jamais sur la table les choses qui les opposent vraiment. Je ne veux pas d’œcuménisme qui soit béni oui oui… Un sentiment religieux profond antécédent à tout confession, oui. Mais les confessions m’intéressent peu.Vous sentez-vous proche de la démarche de la communauté de Taizé? Taizé m’est sympathique, parce que ces frères tentent de dépasser ce qui me paraît anachronique. Je comprends très bien que cette communauté parvienne à rassembler autant de jeunes, car les jeunes ont toujours, à mon sens, un fort sentiment religieux. Je crois que lorsqu’on emploie un langage simple et que l’on dit des choses qui touchent à l’essentiel, tout le monde est mobilisé, se sent relié. L’avenir de la religion est dans la relation.Vous vous êtes beaucoup intéressé à la figure du Christ. Que représente-t-il pour vous?L’Evangile de Jean commence par cette fameuse phrase: «Au commencement était le verbe». On a écrit des bibliothèques – parfaitement inutiles – sur cette phrase. A mon sens, Dieu n’est pas un agent de relation, il est la relation qui a pour agent le verbe. Or ce n’est pas un hasard si l’on dit que le Christ est le verbe incarné. C’est lui qui est l’agent de relation primordial entre cette instance que l’on nomme Dieu et les hommes. C’est pour ça que le Christ est l’intermédiaire par excellence entre l’au-delà – le monde où il n’y a ni espace ni temps, qu’il appelle le royaume des cieux – et le monde de l’espace-temps qui est le nôtre. Et il a cette parole formidable: «le royaume des cieux est déjà en vous».

J’ai bien d’autres raisons de m’intéresser à lui: le Christ a dit non à la puissance, parce que la puissance, c’est l’affirmation de soi, l’exploitation de l’autre, voire sa liquidation. Et la clé de voûte de toute puissance, c’est le meurtre. Or le Christ, parce qu’il dit non à la puissance, aboutit au Golgotha, qui est l’essence de l’anti-meurtre. Il donne sa vie pour la multitude. Ce qui n’est pas du tout moralisant, même si cela a trop souvent été pris comme tel.Comment vous situez-vous par rapport à la mort?Ah ça… je passe de moments de parfaite confiance à des moments de doute aigus. Avec l’âge, cette perception devient toujours plus vive, mais elle n’a rien de monolithique. C’est une alternance de confiance et de doute, de doute dans la confiance et finalement de confiance dans le doute. Votre acharnement au travail est-il un rempart contre l’angoisse de la mort ?Je crois que l’angoisse de la mort m’a accompagné tout au long de ma vie, depuis ma plus tendre enfance. Mais ce n’était pas une angoisse morbide, c’était lié à l’inconnu. Je considère que toutes les représentations que l’on peut se faire de Dieu – miséricorde, bonté – c’est du bidon! Notre esprit est soumis à l’espace-temps et il n’est par conséquent pas possible à notre cerveau d’imaginer le non espace-temps qu’est le royaume des cieux. J’imagine seulement que dans ce non espace-temps, tout est radicalement différent. Nous ne sommes pas équipés psychiquement et mentalement pour concevoir quelque chose après la mort. Cela reste un saut dans l’inconnu. Et ce saut dans l’inconnu ne peut pas ne pas me faire peur. J’ai au moins le courage d’avoir peur.Quel regard portez-vous sur la production littéraire actuelle?On n’a jamais édité autant de livres, et pourtant l’offre ne cesse de s’appauvrir. Dans les salons du livre, on ne trouve plus que des manuels: comment se vêtir, se meubler, se tenir dans le monde,…Bref, des conneries monumentales relevant purement du pratique et de l’économique. En France la mode actuelle est à la «gorgée de bière», des livres sans intérêt qui se veulent des chroniques du quotidien. Mais réduire la vie quotidienne, chargée de mystère, à du pittoresque, je dirais que c’est offenser la vie.La vie quotidienne a pourtant inspiré nombre de vos écrits.Oui, mais ce qui m’intéresse, ce n’est pas la vie de ceux qui m’entourent, mais la Vie à travers eux. J’ai écrit à partir de mes propres expériences non pas pour parler de moi, mais pour voir comment se manifeste la Vie à travers ma vie.Pourquoi avez-vous quitté Genève?Ma Genève était celle des errances, de l’impression poétique des quartiers populaires comme les Pâquis que j’ai beaucoup fréquenté. Mais je ne me sens pas vraiment écrivain genevois me plaisait pour ses symboles. Petite, dense, mais ouverte au monde. Aujourd’hui, elle est noyée sous la suprématie de l’économie. La conversation des gens au bistrot a changé: on ne parle plus que de vacances et de pouvoir d’achat. Au siècle dernier, on causait politique au café. C’était peut-être des conneries, mais on se préoccupait d’autre chose que de son porte-monnaie.

* Rendez-vous en Galilée, par Georges Haldas, Ed. L’Age d’Homme

** «Confessions genevoises, de Jean-Jacques Rousseau à Georges Haldas», Musée Voltaire, du lundi au samedi de 14h à 17h. Jusqu’au 29 février.