« Le droit pénal de l’Eglise catholique est appelé à tomber en désuétude »

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« Le droit pénal de l’Eglise catholique est appelé à tomber en désuétude »

5 février 2008
Parce qu’il est peu populaire qu’un évêque condamne ses propres fidèles, le droit pénal de l’Eglise catholique ne s’applique presque plus en Suisse, constate le professeur fribourgeois René Pahud de Mortanges, qui a consacré sa thèse au droit ecclésiastique pénal et disciplinaire
Les cas d’abus sexuels commis par des prêtres devraient incliner à choisir la voie de la justice étatique, estime-t-il.« Le droit pénal de l’Eglise catholique ne s’applique presque plus en Suisse », constate le professeur de droit fribourgeois René Pahud de Mortanges, spécialiste du droit ecclésiastique pénal et disciplinaire, auquel il a consacré sa thèse d’habilitation. « Peu à peu ce droit est appelé à tomber en désuétude, car les vraies procédures pénales catholiques sont très rares », constate-t-il. Dans le cas du prêtre capucin pédophile qui a abusé d’un garçon de dix ans, il n’y a eu d’ailleurs ni sanction disciplinaire, ni sanction pénale, mais une simple mesure administrative d’éloignement de l’intéressé en France, où il est à nouveau passé à l’acte. « Si je pensais jusqu’ici que les directives de la Conférence des évêques suisses sur les abus sexuels dans le cadre de la pastorale étaient suffisantes, il me semble aujourd’hui souhaitable de les retravailler pour assurer une meilleure collaboration avec la justice étatique. Ce cas, et ceux qui ont été dénoncés par la suite, devraient incliner à choisir d’emblée de saisir les organes de l’Etat », estime le professeur.

« Si l’Eglise est confrontée à un comportement condamnable, elle peut choisir soit le droit disciplinaire, celle de la sanction administrative prononcée par l’évêque, soit son droit pénal propre, appliqué par le juge ecclésiastique (ou official) au nom de l’évêque. Les sanctions seront les mêmes, soit la suspension du prêtre, qui ne lui permet plus de fonctionner en cette qualité, ou l’excommunication, qui ne lui permet plus de donner les sacrements. D’autres mesures, plus faibles, peuvent être ordonnées, mais elles ne sont pas définies par le droit canon, qui enjoint simplement de « soumettre le coupable à des sanctions justes ». Un concept indéterminé qui ne facilite pas la compréhension des décisions finalement prises. S’agissant des dédommagements accordés aux victimes d’abus sexuels, « le droit canon ne prévoit rien expressément. Le fait de payer une sorte de réparation financière en faveur de ceux qui ont été lésés est une création de ceux qui ont pris cette décision », à savoir l’Evêché de Lausanne, Genève et Fribourg, qui a pris en charge certains frais de thérapie au moyen d’un fonds alimenté par des dons. Si, « par principe, on ne peut déclarer d’emblée invalide cette tentative d’apaiser un conflit, le règlement de ces sommes devrait faire aussi l’objet de directives, en s’inspirant de ce que prévoit le droit étatique s’agissant du moment et de l’ampleur des dédommagements », poursuit le professeur. En effet, le flou entourant ces règlements laissait planer un doute sur la volonté d’acheter le silence des victimes.

L’ancienne constitution fédérale déclarait que « la juridiction ecclésiastique est abolie », ce que la nouvelle ne précise plus. Pour le professeur, le principe reste néanmoins valable : la procédure ecclésiastique ne vaut que pour ceux qui acceptent de s’y soumettre volontairement. Mais, « parce qu’il est peu populaire qu’un évêque condamne ses propres fidèles, on tente de résoudre le problème par l’entretien spirituel. L’Eglise a compris ces derniers jours que cette réserve n’est pas heureuse, car elle éveille le soupçon de vouloir régler les choses entre soi. Si elle veut elle-même prévoir des sanctions, peut-être vaut-il mieux transmettre ses compétences d’instructions à la justice civile », conclut le professeur.

A noter qu’aujourd’hui, la position de l’Eglise catholique s’agissant de l’obligation de dénoncer est ambiguë. A Fribourg, l’Evêché promet désormais de proposer systématiquement aux victimes de s’adresser au juge civil. Le juriste Adrian von Kaenel, président de la commission d’experts pour les abus sexuels commis dans le cadre de la pastorale, « ne peut tolérer que l’Eglise soit au courant et non le juge pénal ». Mais le secrétaire de cette commission, l’abbé Joseph Bonnemain, est moins catégorique : « On ne peut dire que d’une manière générale il faut dénoncer, car on doit laisser à la victime le choix de cette décision. ». Reflet de cette ambigüité, la directive 5.3.1 prévoit une obligation de dénoncer « au moins là où le danger d’actes répétitifs (notamment pédophiles) ne peut être combattu ». Cette disposition pourrait être retravaillée lors de la mise à jour des directives de la Conférence des évêques suisses sur les abus sexuels dans le cadre de la pastorale.