« Ethique animale » de Jean-Baptiste Jeangène VilmerQuand les animaux pleurent, les hommes se bouchent les oreilles

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« Ethique animale » de Jean-Baptiste Jeangène VilmerQuand les animaux pleurent, les hommes se bouchent les oreilles

5 mars 2008
« Ethique animale » : quand les animaux pleurent et que les hommes se bouchent les oreilles Les animaux ont-ils des droits ? Avons-nous des devoirs envers eux ? Dans quelle mesure peut-on les traiter comme des biens, les asservir, les exploiter, les tuer pour se nourrir, se divertir et faire de la recherche, les entasser dans des élevages industriels, sans se soucier des souffrances qu’on leur inflige ? Philosophe et éthicien à Montréal, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer fait le point sur l’évolution du douloureux rapport entre l’homme et l’animal dans un ouvrage consacré à l’éthique animale, discipline qui se préoccupe du statut moral des animaux, soit de la responsabilité des hommes à leur égard
Il témoigne de l’ampleur du mouvement actuel pour la remise en question du statut des animaux.Force est de constater que parce que l’homme se croit supérieur à l’animal, il exploite les bêtes sans état d’âme, les privant de toute considération morale. Cet anthropocentrisme, né d’une croyance d’origine chrétienne, selon laquelle l’animal a été créé au service de l’homme, nie du même coup l’animalité de l’humain et lui permet d’exploiter sans honte ses frères inférieurs. Or, la science, dans la foulée de Darwin, a montré que la différence entre l’homme et l’animal n’est qu’une question de degré et non de nature, et que nous partageons 99% de notre ADN avec le chimpanzé. L’auteur répertorie les multiples stratagèmes mis en œuvre pour justifier l’exploitation animale et ses abus et minimiser la culpabilité de ceux qui exploitent les animaux, les consomment et les considèrent comme des biens leur appartenant, dont ils peuvent faire ce bon leur semble.

L’une des parades relevées par l’auteur consiste à s’insurger que l’on puisse penser aux animaux, quand tant d’humains souffrent et meurent de faim et que les droits de l’homme sont toujours violés dans de nombreux pays. Prêter attention aux maltraitances des animaux témoignerait d’un mauvais sens des priorités, dû à un une sentimentalité excessive à l’égard des bêtes. Jean-Baptiste Jeangène Vilmer dénonce dans la foulée la politique qui consiste à décrédibiliser les mouvements de protection des animaux. Le discrédit qui vise en particulier les femmes, qui s’investissent le plus souvent pour la défense des animaux. Il fut une époque, pas si lointaine, où il était tout aussi inconcevable de donner des droits aux femmes que d’en donner aux animaux. L’écoféminisme qui a le vent en poupe, s’oppose aujourd’hui à la conception traditionnelle du rapport à la nature paternaliste, voire patriarcale, d’une humanité dominante, au-dessus de la nature, propriétaire des ressources naturelles et de tous les êtres vivants. La protection des animaux s’inscrit tout naturellement dans ce courant de pensée contemporain.

La mauvaise foi fait partie des mécanismes inventoriés par l’éthicien. Elle a pour but de déculpabiliser les exploitants des animaux de rente, de même que les consommateurs. Elle permet de nier et de dissimuler les torts causés, d’empêcher l’apitoiement qui ferait grand tort à l’économie. C’est dans ce souci de cacher la réalité que les images concernant les élevages intensifs d’animaux sont soigneusement contrôlées et très rares. Les stratégies de communication insistent par exemple sur l’importance du « matériel biologique » pour faire avancer la médecine et sauver les hommes et présentent les éleveurs comme les véritables promoteurs du bien-être animal, alors que les défenseurs de droits des animaux ne seraient que de dangereux extrémistes du front de libération des animaux ou des mémères à chats.Souffrance des animauxJean-Baptiste Jeangène Vilmer affirme haut et clair que la souffrance, quelque espèce qu’elle affecte, doit être prise en compte. « Ce vaste univers de souffrance devrait nous préoccuper énormément », rappelle-t-il. Pour lui, l’abolition de l’élevage industriel n’aiderait pas seulement les animaux, mais ferait croître la quantité de nourriture et supprimerait une source majeure d’émission de gaz à effet de serre et de pollution des eaux ». La Commission européenne a pris la décision l’an passé, d’abolir l’élevage de veaux en batterie. Les législations sur le statut des animaux évoluent. Parallèlement, des efforts sont faits pour rechercher, utiliser et rendre obligatoires des alternatives à l’expérimentation animale ; un mouvement de fond traverse actuellement nos sociétés et appelle à une révision profonde des comportements des humains envers les animaux. Mais il reste encore beaucoup à faire. L’Amérique reste à la traîne en matière de protection des bêtes, sans parler de la Chine, insensible aux pressions extérieures à cause du poids économique extraordinaire qu’elle représente, ce qui lui permet de violer impunément les droits de l’homme et de traiter les animaux comme des choses.Ethique animale, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, préface de Peter Singer, 300 pages, aux Presses Universitaires de France (PUF), février 2008.