Genève : débordés, les aumôniers de Champ-Dollon pourront-ils continuer à être un refuge contre le désespoir ?

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Genève : débordés, les aumôniers de Champ-Dollon pourront-ils continuer à être un refuge contre le désespoir ?

24 novembre 2008
Les aumôniers protestants et catholiques essaient sans relâche de rendre le quotidien des détenus supportable
Mais la diminution des effectifs et l’augmentation de la population carcérale rendent leur tâche toujours plus difficile. Sous-dotés, les aumôniers se demandent s'il faut tout arrêter.«Champ-Dollon est un petit miracle», s’exclame contre toute attente Philippe Rohr, diacre stagiaire. En dépit de la détérioration des conditions de travail, les professionnels de la prison pratiquent toujours leur métier avec humanité. « On trouve des personnes fabuleuses parmi les gardiens et dans les services administratif et social.» Anne-Christine Menu-Lecourt, aumônier de la prison depuis douze ans, acquiesce: «Pour de nombreux détenus, l’accompagnement offert ici est une première». L’aumônerie est un précieux refuge pour tous ceux qui sombrent dans le désespoir. «On n’imagine pas à quel point le mal commis rejaillit sur la personne qui en est l’auteur, explique Anne-Christine Menu-Lecourt. Nous soutenons tous les jours des personnes qui luttent contre des pulsions de mort». Accompagner le détenu sur la voie du retour à la vie, alors qu’il est convaincu de ne pas la mériter, est la tâche essentielle des aumôniers protestants et catholiques. Un retour à la vie qui n’est pas toujours possible. «La prison peut être une traversée du désert, c’est-à-dire un moment difficile mais que l’on peut habiter, où une descente aux enfers, douloureuse et stérile», constate Philippe Rohr.

Le régime de la préventive, particulièrement strict, met les détenus à rude épreuve, souligne Béatrice Lombard, auxiliaire d’aumônerie: « C’est une période très angoissante pour les détenus. Ils sont coupés de tout, souvent désoeuvrés et vivent dans l’attente de leur jugement. Tout leur courrier est ouvert, les téléphones sont sur écoute. Certains vivent plus de trois ans dans ces conditions». Pour évacuer le stress, l’aumônerie est indispensable. «Je suis content d’y amener des détenus, relève un gardien, ces rencontres les apaisent et on est tranquille pour un moment!».

Reste que le stress finit par gagner les aumôniers, débordés. «Notre travail a beaucoup évolué », reconnaît Anne-Christine Menu-Lecourt. « A mes débuts, je pouvais suivre les détenus de la préventive au pénitencier. Aujourd’hui, je n’arrive même plus à répondre aux demandes des prisonniers de Champ-Dollon ». En dix ans, la population carcérale a été multipliée par 1.6 et la dotation de l’aumônerie protestante divisée par quatre.

Depuis la dissolution de ses liens avec l’association carrefour-prison, l’aumônerie ne dispose plus que d’un demi-poste rémunéré par l’Église protestante de Genève. Or la tâche, elle, augmente. En plus de la population de Champ-Dollon, les aumôniers ont la charge de celle la Brenaz, de la Favra et de la Clairière ». « C’est un choix d’Église, constate Anne-Christine Menu-Lecourt. Mais arrive un moment où il faut avoir le courage de dire que ce n’est plus viable et qu’on arrête tout».

Plutôt que de tout arrêter, un groupe de travail œcuménique, mandaté depuis quelques mois par les trois Églises reconnues, travaille sur un projet d’aumônerie œcuménique.

Pour Maurice Gardiol, coordinateur de ce groupe, les Églises doivent se rappeler leur mission et ne pas oublier leur vocation. Certes, seuls 11% des détenus sont de confession protestante, mais adapter la dotation à ce pourcentage serait une erreur. « Les accompagnements des personnes détenues ne sont pas réservés aux seuls membres de l’une ou l’autre des confessions chrétiennes, mais à celles et ceux qui, à cause de leur vulnérabilité, sont considérés comme nos frères et sœurs », explique le comité de soutien dans son bulletin, se référant à la parabole de Matthieu 25. « La prison est un lieu de témoignage unique, l’un des vrais lieux de mission de nos Églises », constate-t-il. « Il faut avoir le courage de trouver les moyens nécessaires pour la remplir ».