« Il faut dépasser le seul horizon de l’aide sociale »

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« Il faut dépasser le seul horizon de l’aide sociale »

25 mars 2010
Les Centres sociaux protestants (CSP) misent sur des prestations complémentaires pour les familles et une politique globale pour lutter contre la pauvreté en Suisse. Berne va dévoiler sa stratégie nationale de lutte contre la pauvreté et l'exclusion cet automne. Les différents acteurs présents sur le terrain ont été consultés afin que leurs expériences permettent de trouver des solutions qui répondent aux besoins réels.

État des lieux avec Hélène Küng, présidente de l'association suisse des CSP

Propos recueillis par Julien Baumann

Hélène Küng, quelles dégradations constatez-vous suite aux dernières révisions des lois sur l'assurance chômage et invalidité ?


La diminution des prestations au niveau fédéral a engendré la suppression de certains types de subsides. C'est le cas par exemple des rentes pour les conjoints de personnes invalides. On remarque aussi que les exigences administratives sont devenues extrêmement complexes. Le nombre de preuves à donner, de documents à remplir, d'informations à renouveler et de conditions à satisfaire est tel qu'il s'agit d'un défi même pour les professionnels travaillant dans ces domaines.

Ces contraintes sont donc encore plus ardues à surmonter pour une personne déjà fragilisée. Il ne faut pas oublier non plus que les individus qui n'ont plus droit à ces prestations doivent faire recours aux services sociaux. Ce sont donc les cantons qui en font en partie les frais. Ils disent ployer sous ce report de charges.

Les révisions à venir vont-elles dans le même sens ?


On peut craindre en effet la même volonté d'économiser à tout prix en misant sur le court terme. Le fait de simplement réduire les dépenses revient au même que de mettre un emplâtre sur une jambe de bois. Le problème de la précarité n'est pas seulement lié à l'aide sociale. Il faut comprendre quelles en sont les causes pour s'y attaquer en amont.

Quelles sont vos revendications ?

Nous mettons l'accent sur l'introduction rapide de prestations complémentaires pour les familles à faible revenu au niveau fédéral. Trois variantes sont examinées actuellement, mais c'est sur ce point que nous espérons trouver un consensus politique. Cette première mesure améliorerait la situation d'un certain nombre de familles qui n'arrivent pas à joindre les deux bouts alors même qu'elles travaillent et ne font aucune dépense extravagante.

C’est ce service de « veilleurs de terrain » que nous devons rendre
aux pouvoirs publics. Nous nous concertons aussi avec d'autres associations en Suisse pour mettre en place une stratégie globale qui dépasse le seul horizon de l’aide sociale. Avec notre expérience du terrain, nous pouvons non seulement rendre compte des conséquences de la politique actuelle, mais aussi mettre en garde contre d'éventuels dangers que pourraient comporter certaines décisions à venir. C’est ce service de « veilleurs de terrain » que nous devons rendre aux pouvoirs publics.

Quelles autres mesures sont envisageables ?


On pourrait imaginer la mise en place d'une législation cadre, notamment sur le minimum vital. A partir de là, il serait possible d'agir sur plusieurs niveaux pour freiner le mécanisme de la pauvreté. Il y a des gens comme les 'working poor' qui se trouvent en situation d'exclusion sociale alors qu'ils ont un emploi. Si les entreprises étaient contraintes en Suisse d'offrir un salaire minimum, de nombreuses personnes ne seraient plus systématiquement obligées de demander une aide. On agirait alors directement sur le secteur économique pour améliorer la situation, ce qui permettrait de faire baisser les coûts sociaux.

Il est possible aussi d'alléger la fiscalité des bas revenus. Il faudrait évidemment qu'en contrepartie les plus riches paient davantage. Il n'est pas question de saboter les recettes fiscales, mais pourquoi ne pas rendre légalement impossible la baisse du taux d'imposition pour les plus fortunés ? Les cantons tardent à franchir le pas à cause de la concurrence. Ils craignent que certains contribuables ne changent de canton pour trouver des avantages. Il est donc là aussi nécessaire que des règles soient établies au niveau fédéral.

Quelle est la réalité de la crise pour vous ?

Au début, nous avions envie de dire : « mais de quelle crise parlons-nous? », tellement nous rencontrions de personnes affrontant une crise. Puis le premier symptôme de cette nouvelle crise a été l’annonce de restrictions des subventions et des dons. Au CSP Vaud, nous tentons chaque année de réduire notre déficit. Une mission qui a été nettement plus difficile l'an dernier qu'en 2008. Le canton ne peut augmenter ses subsides que de manière très ciblée et les dons ont diminué d’environ 18%.

Sur le terrain, on a constaté dès le printemps 2009 une augmentation des demandes des personnes en difficulté. Les personnes que nous avons conseillées devaient faire face à des situations plus complexes que d'habitude. Il y a aussi eu des personnes proches de la précarité qui se sont rapidement retrouvées dans des conditions aggravées. D'autres qui avaient réussi à se sortir des dettes ont replongé, suite par exemple à la perte de leur emploi. Une des conséquences les plus directes de la crise a aussi été la stagnation voire la diminution des places d'apprentissages disponibles.

On dit souvent que les pauvres de Suisse le sont moins que dans d'autres pays. Comment réagissez -vous à cette affirmation ?

Négativement et positivement. D'une part, il est très dangereux de faire des comparaisons quantitatives et superficielles. On ne peut pas dire à une femme suisse qui peine à élever seule ses enfants que sa situation est bien meilleure que si elle vivait au Sri Lanka. Il n'est pas non plus acceptable d'affirmer par exemple qu'en Afrique la population garde le sourire alors même que la situation y est bien plus grave qu'ici. D'autre part, je trouve qu'il faut toujours avoir une vision globale pour comprendre que la pauvreté se manifeste de façon différente selon les pays.

En Suisse, je préfère parler d'exclusion sociale. Il faut savoir que le simple fait de demander de l'aide est déjà une souffrance pour de nombreux Suisses, car ils se mettent dans une situation morale dont ils n'ont pas envie. Et cela fait aussi partie de l'exclusion.

LIEN

Les Centres sociaux protestants de Suisse romande:
Vaud, Neuchâtel, Genève, Berne-Jura