La pluralité religieuse dans la Constitution

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La pluralité religieuse dans la Constitution

2 juin 2010
Le sociologue des religions Roland Campiche propose des pistes pour sortir de l'ornière après le vote antiminarets de novembre 2009. Il défend l'idée que la Suisse a élaboré un système pour traiter le religieux dès le XIXe siècle, qui pourrait aussi inspirer l'Europe.


Par Tania Buri

Alors qu'au XIXe siècle, le souci de l'Etat était la paix confessionnelle, au XXIe siècle, l'Etat gère la pluralité religieuse, explique le sociologue dans son dernier livre "La religion visible". Traiter la Suisse de laïque est un contre-sens. L'expression « neutralité confessionnelle de l'Etat » est plus adéquate.


La Suisse a manqué le coche en n'inscrivant pas ces caractéristiques dans un nouvel article sur les religions, en 1999 au moment de la révision de la Constitution fédérale ou en 2001, lors du vote sur les Evêchés. Dans la foulée du vote antiminarets, l'histoire repasse le plat et le Conseil fédéral ressort cette carte de sa manche.

Reconnaissance de l'islam: pas symbolique Pour aller plus loin, mettre à l'ordre du jour des parlements cantonaux la reconnaissance de l'islam constituerait un pas symbolique, avance le sociologue. Près de la moitié des cantons disposent déjà de l'arsenal juridique pour reconnaître les différentes communautés religieuses. Mais seuls les réformés, les catholiques romains, les vieux catholiques et les juifs ont en bénéficié jusqu'ici.

La question de l'égalité homme-femme va toutefois rester épineuse, prédit-il. Beaucoup de femmes ont déposé un oui dans l'urne le 29 novembre 2009 en pensant à ce point précis. Et le dossier est loin d'avoir trouvé son épilogue.

Plus largement, le sociologue estime que des leçons pourraient être tirées d'un relecture de l'histoire du religieux en Suisse au XIXe siècle. La Confédération avait pris alors des dispositions contraignantes pour juguler les appétits de pouvoir des catholiques. Les cantonaux avaient aussi stimulé la démocratisation des Eglises réformées. Le sociologue considère que la Suisse a élaboré un système qui pourrait inspirer l'Europe, si elle regagne sa crédibilité internationale au cours des prochaines décennies.
Des laïcs pour limiter le pouvoir des clercs

L'introduction, dans la Constitution fédérale helvétique de 1848, d'articles dits confessionnels, montre comment l'Etat a tenté de cantonner l'Eglise catholique romaine dans la sphère religieuse. Ces articles s'inscrivent dans la foulée de la guerre du Sonderbund qui a marqué l'échec d'une tentative de sécession de quelques cantons catholiques.

Les réformés de leur côté n'ont pas échappé à une régulation de l'Etat, mais au niveau cantonal. Le canton de Berne à ce titre est exemplaire, souligne Roland Campiche. En 1831, l'église réformée est soumise au Département de l'instruction publique et dotée d'un synode (parlement), composé uniquement de clercs. En 1852, le gouvernement lui donne une structure presbytéro-synodale en introduisant des laïcs dans tous les rouages de l'Eglise.

Démocratisation et laïcisation de l'Eglise réformée


Les conseillers de paroisse sont élus par les citoyens et dès 1874 les paroisses nomment leurs pasteurs. L'intervention de l'Etat favorise ainsi la démocratisation et la laïcisation de l'Eglise réformée. Le même scénario se répète dans tous les cantons protestants.

Les cantons ont ainsi élaboré 26 systèmes allant de l'Eglise d'Etat comme à Berne et encore récemment le canton de Vaud à la séparation entre les deux entités comme à Genève et Neuchâtel.

 

Libéralisation du marché symbolique

L'Etat moderne, pluraliste et démocratique, tente d'articuler une vaste libéralisation du marché symbolique. L'Etat réduit ainsi la religion au statut de fonction sociale autorisée. La reconnaissance des organisations religieuses par l'Etat découle avant tout de leur utilité politique et sociale.

De tous les concepts utilisés pour rendre compte du changement religieux qui s'est opéré dès les années 60, celui de « désinstitutionnalisation » de la religion apparaît comme le plus pertinent à l'auteur, qui consacre un chapitre de son dernier livre à montrer comment a évolué l'analyse du changement religieux depuis les années 60.

Le concept de « désinstitutionnalisation » désigne la perte d'influence des grandes Eglises chrétiennes, mais sans enfermer dans les même sac le contenant et le contenu. Constater cette marginalisation n'équivaut pas à annoncer que la religion quitte la scène sociale et culturelle, conclut-il.

INFOS

  • La religion visible, Collection Le savoir suisse aux Presses polytechniques et universitaires romandes, 141 pages.
Cet article a été publié dans :

Le quotidien vaudois 24 Heures.