CMER: les protestants tentent une union pour éviter d'être paralysés par leurs diversités

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CMER: les protestants tentent une union pour éviter d'être paralysés par leurs diversités

30 juin 2010
La Conférence d’unification de la Communion mondiale des Eglises réformées s’est clôturée samedi à Grand Rapids après dix jours de célébrations et de débats. Une expérience plus forte sur le plan humain qu’en termes d’avancées des dossiers, estiment de nombreux participants.


Par Michel Kocher et Aline Bachofner


« Je repars en France avec des images plein la tête, un carnet d’adresses étoffé et le fort sentiment d’appartenir à une famille mondiale », témoigne Rodolphe Kowal, observateur de l’Eglise réformée de France à la Conférence d’unification. L’affirmation de cet étudiant en théologie, qui vivait là son premier rassemblement ecclésial international, résume largement le sentiment de nombreux délégués et observateurs présents à Grand Rapids.

La conférence qui s’est déroulée sur dix jours a permis de défricher et d’approfondir des sujets théologiques et d’engagement social, mais il a surtout été l’occasion d’échanges enrichissants entre 800 représentants du monde entier.

Un chemin à moitié parcouru

En termes de contenu, la conférence laisse toutefois un goût d’inachevé. Aux femmes notamment, qui après avoir obtenu presque par surprise une augmentation de la représentation féminine parmi les délégués de 30% à 50%, ont vu leur rapport de section « justice des genres » amputé d’une partie importante de ses recommandations.

Ordonner des femmes pasteures ne sera donc pas une obligation pour les Eglises membres, seulement un horizon vers lequel elles doivent tendre, chacune à son rythme. La pasteure Paulette Brown, représentante de l’Eglise presbytérienne du Canada et rapporteuse de la section, a déploré un immobilisme «qui ne permet pas aux femmes de croire réellement en leurs droits et leur capacité de leadership ». Par ailleurs, les sujets brûlants comme l’homosexualité n’ont pas même été abordés.

Justice et communion, un équilibre à trouver

Autre sujet laissé en friche, la justice économique et écologique. En 2004, les délégués de la défunte Alliance réformée mondiale (ARM) marquaient un pas important en adoptant la « Confession d’Accra » en vue d’une « alliance pour une justice dans l’économie et dans le monde ». Ce texte, taxé de néo-marxiste par certaines églises réformées, critiquait l’emprise mondialisante de « l’empire » néo-libéral. Il a marqué les esprits.

Reposant sur une analyse économique lacunaire, il a néanmoins donné un élan qui ne s’est jamais démenti. Depuis, les colloques d’éthiciens se sont succédés pour tenter d’affiner l’analyse et de convaincre les plus réticents d’entrer dans le mouvement. L’objectif étant d’arriver à une véritable confession de foi réformée, comme le fut la Déclaration de Barmen pour se distancer du nazisme.

Les discussions en assemblée plénière autour de ce texte ont révélé les divergences entre les Eglises du Sud pour qui l’engagement social est vital et les Eglises du Nord, soucieuses de préserver le dialogue avec les partenaires politiques et économiques. Un délégué suisse a par exemple relevé que la terminologie utilisée par la Confession serait taxée de rhétorique d’extrême gauche en Suisse alémanique. «Ce langage compromet le dialogue avec le monde économique», a-t-il déclaré.

L’assemblée de Grand Rapids a rappelé la centralité du texte d’Accra, mais elle n’y a pas touché, invitant tout au plus les Églises à travailler sur les fondements bibliques. L’objectif affiché de tenir en équilibre les pôles de l’engagement social et de la spiritualité a donné une ligne strictement suivie, peut-être aux dépens d’un courage éthique et d’une ligne claire d’engagement.

Pasteur polyglotte, jouant le rôle d’interprète dans les conférences œcuméniques depuis un quart de siècle, le Neuchâtelois Théo Büss ne cache pas une certaine préoccupation sur l’avenir des réformés suite à Grand Rapids. « Jamais la domination de l’anglais n’a été aussi forte qu’ici ». La nomination d’un Sud-Africain corrobore son analyse. C'est un signe de plus que les francophones du Sud n’ont à l’heure actuelle aucun personnel théologique à proposer pour diriger l’organisation. Ce qui navre aussi cet altermondialiste, c’est le sentiment que « les protestants tendent à tourner leurs regards vers l’intérieur de l’Eglise, avec le risque d’ecclésiocentrisme ».

Union réussie

Malgré ces bémols, l’union de l’ARM et du Conseil œcuménique réformé (COR) semble plutôt bien partie pour le pasteur Jean-Michel Sordet, délégué de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) à Grand Rapids. « L’utilisation du mot communion est une nouveauté dans le monde réformé, nous devons travailler sur son contenu », a déclaré ce conseiller synodal de L’Eglise évangélique réformée vaudoise. Il appelle de ses vœux un travail théologique plus affiné.

Délégué dans la section qui a travaillé sur l’identité réformée, il constate avec un certain contentement que son Eglise n’est pas la seule à se préoccuper de la formation d’adultes et à chercher le sens actuel de la foi réformée. Pas étonnant que le document final invite à la conception d’un réseau de théologiens à l’échelle de la planète. A l’heure d’internet, les réformés se mettent à rêver de pouvoir échanger et mieux coordonner leurs matériels catéchétiques.

Pour atteindre ces objectifs, il faudra sans doute des moyens plus importants que ceux dont disposait l’ancienne ARM. Nommé responsable des finances au sein de l’exécutif, le Suisse Gotfried Locher, futur président de la FEPS, aura du pain sur la planche pour assurer l'équilibre financier de la nouvelle organisation, mais aussi de nouvelles églises membres plutôt aisées. En effet, les églises affiliées à l’ancien COR apportent des moyens bienvenus à la nouvelle organisation.

Une main tendue aux Amérindiens

La principale singularité de la conférence de Grand Rapids réside sans doute dans sa volonté de tendre la main aux Indiens d’Amérique. Mike Peters, du peuple Odawa, a ainsi participé à la cérémonie d’ouverture et Richard Twiss, de la tribu Sioux Lakota, a adressé un vibrant appel aux représentants d’Eglises du monde entier dans une allocution de près de deux heures.

« Notre peuple a énormément souffert et continue de souffrir. L’amour de Dieu peut lui permettre d’avancer sur le chemin de la guérison, à condition que ceux qui parlent en son nom ne lui dénie pas son droit à rester pleinement indien et à le célébrer à sa façon », a-t-il dit en substance. Il a ainsi fustigé les méthodes des évangélisateurs du Calvin College qui déverse chaque année des cars de jeunes venus porter la Bonne nouvelle aux indiens sans rien connaître de leur culture ni de leur réalité.

Ce qu’il attend de la Communion mondiale des Eglises réformées ? « Rien. Mais nous devions saisir la chance qui nous était donnée de faire connaître notre situation et notre façon de louer Dieu », a répondu Richard Twiss. Les participants à la conférence ont ainsi pu participer à un pow wow traditionnel fait de chants et de danses, où les prières étaient adressées à Dieu en langue cree et odawa au son du tambour traditionnel. Entre folklore, syncrétisme et communion interculturelle.