Les convictions ont-elles leur place en faculté de théologie?

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Les convictions ont-elles leur place en faculté de théologie?

Aline Bachofner
15 septembre 2010
Peut-on enseigner la théologie en laissant ses convictions chrétiennes au vestiaire et considérer la foi comme n’importe quel objet d’étude? Plusieurs théologiens, dont l'écrivain Shafique Keshavjee et Pierre Gisel, le maître d'oeuvre de l'encyclopédie du protestantisme, vont développer leurs points de vue dans deux débats à Lausanne et Genève.


, VP Genève

«Oui, on peut enseigner la théologie en taisant ses convictions», répond en substance Andreas Dettwiler, doyen de la Faculté de théologie de Genève. S’il parle volontiers de ce qu'il croit, il estime que cet aspect relève du domaine privé et que ses convictions ne doivent pas interférer avec son enseignement. «L’enseignement de la théologie à l’Université n’a pas pour but de susciter la foi ni d’évangéliser.»

«La théologie est une boîte à outils analytique qui doit rendre intelligible la foi», explique Andreas Dettwiler. Et rendre intelligible la foi, ce n’est pas répondre au questionnement spirituel: «Nous ne sommes pas une paroisse, poursuit le doyen, nous ne répondons pas à la quête spirituelle des étudiants. »

A la demande d'étudiants, quelques professeurs de théologie de Genève ont pourtant relancé il y a deux ans l’organisation de cultes mensuels au temple de Plainpalais, destinés avant tout au personnel de la Faculté et aux étudiants. C’est souvent la seule occasion, pour des étudiants sans ancrage paroissial, d’assister à une célébration, voire d’y participer et de se frotter à la prédication et à la liturgie.

La Faculté n’y est toutefois pas officiellement associée, et l’initiative reste le fait d’individus, non de l’institution. Cette prudence irrite M. Keshavjee, qui y voit un symptôme de la laïcisation de la Faculté et des craintes de cette dernière de froisser le rectorat par une entreprise trop confessante. «Pourquoi n’a-t-on pas le courage de dire, en tant qu’institution, que nous avons un rapport particulier à notre objet d’étude? »
La prière en cours? Le professeur pousse le raisonnement et rappelle que certains cours de théologie à l’Université de Fribourg commencent par la prière. Et cela pour les différencier d’une approche « science des religions ».

Si M. Keshavjee voulait faire réagir ses collègues, c’est réussi. Sa «provocation» de la prière en cours fait bondir Andreas Dettwiler: «C’est tout bonnement impensable, ne serait-ce que par respect pour la prière! s’exclame le doyen. Imposer une prière hors d’une communauté religieuse, c’est violer le sentiment religieux, soit la partie la plus intime de la personne.»

On comprendra que la prière en cours est un prétexte. La vraie question posée par le professeur de théologie des religions réside dans l’affirmation ou non du caractère chrétien des facultés romandes, voire de leur identité protestante.

Et cette question, il l’adresse avant tout à la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Lausanne et à son doyen Pierre Gisel, ancien professeur de théologie systématique, désormais professeur « d’histoire des théologies, des institutions et des imaginaires chrétiens ».

Pour cet artisan du rapprochement de la théologie et des sciences des religions, les convictions n’ont pas leur place en cours. «Je suis professeur à l’Université non pas pour faire l’apologie du christianisme mais pour en montrer les forces et les faiblesse, comme pour toute religion. On ne va quand même pas dire que, parce qu’on est croyant, on a le dernier mot sur une tradition religieuse?»
Place à la «scène religieuse» «La société d’aujourd’hui doit réfléchir au religieux de façon plus large dans ses universités. Le modèle ne doit plus être déterminée par les traditions religieuses, mais par l'ensemble de la ‘scène religieuse’.»

Le professeur s'appuie sur des chiffres qui confirment une évolution sociales et culturelle: «En moyenne, cinq étudiants s’inscrivent en théologie à Lausanne chaque année alors que cent choisissent d’étudier les sciences des religions en s’inscrivant en Lettres ou ailleurs. Que fait-on, en théologie, de tous ces demandeurs de religieux? En jouant confessionnel, on s’en distance, c’est sûr.»

La tension vient probablement de l’évolution du profil des étudiants eux-mêmes. Aujourd’hui, si la formation académique en théologie reste la condition sine qua non pour devenir pasteur dans une Eglise protestante en Suisse romande, la majorité des étudiants qui suit des cours en théologie ne se destine pas à cette profession.
Qu’en pensent les étudiants? Qu’en est-il des étudiants ? Qu’attendent-ils de leurs études et de leurs professeurs ? Les mêmes tendances se retrouvent. Si Jean-Jacques de Rham, étudiant sur le tard et paroissien engagé aimerait mieux connaître les convictions de ses professeurs (tout en appréciant la remise en question de ses propres convictions que ses études lui ont apportée), Elisabeth Schenker ne fait aucune différence entre un professeur croyant ou non.

«L’enseignement est garanti par la méthode, explique cette étudiante pour qui la théologie est une seconde formation. Certains professeurs qui n’ont pas d’expérience pastorale et se disent athées dispensent des cours d’une grande qualité qui nourrissent vraiment ma réflexion.»

Débats à Lausanne et Genève

Deux débats mettent sur la table la question de la place de la théologie dans notre société et de sa spécificité chrétienne :

  • « Les convictions chrétiennes ont-elles leur place à l’Université ? », jeudi 23 septembre à 19h30 à l’Espace culturel des Terreaux à Lausanne. Avec Shafique Keshavjee, Jean-Claude Badoux (président honoraire de l’EPFL), Pierre Gisel (doyen de la Faculté de théologie et de sciences des religions de Lausanne), Jean-Bernard Racine (professeur honoraire de l’UNIL).
  • « Vers une société sans théologie ? », jeudi 7 octobre à 18h15 à la salle B012 Uni-Bastions, Genève. Avec Shafique Keshavjee, Pierre Gisel, Andreas Dettwiler (doyen de la Faculté de théologie de Genève), Ghislain Waterlot (professeur d’éthique, UNIGE), Charlotte Kuffer (présidente de l'Eglise protestante de Genève).

Modération des deux débats : Michel Kocher, journaliste et directeur de médias-pro.

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Ce texte a été publié dans la VP genevoise. La version diffusée ici a été synthétisée. Lire les articles publiés sur cette question sur le site de ProtestInfo.