Art du zen: rencontre avec une nonne bouddhiste et art-thérapeute

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Art du zen: rencontre avec une nonne bouddhiste et art-thérapeute

26 juin 2012
Maria Teresa est nonne bouddhiste et art-thérapeute. Avant d’aller travailler dans une maison de retraite, elle pratique la méditation zen tôt le matin, 5 jours sur 7, au Dojo de Genève. Interview.


Par Murielle Landry


Vous êtes nonne bouddhiste, quel est votre rapport au monde ?

J’ai une pratique quotidienne, je médite régulièrement, après, je vis comme tout le monde, je vais travailler. Mais à l’intérieur de moi-même, je suis imprégnée. En fait, rien n’est acquis une fois pour toutes. Je suis nonne, mais cela se réalise durant toute sa vie. On réalise son engagement avec sa pratique.


C’est-à-dire, que vous apporte la pratique quotidienne de la méditation zazen ?

C’est imperceptible. Des choses changent à l’intérieur de moi. On devient plus présent à la vie, plus éveillé. Le rapport aux situations de la vie change. Lorsqu’on vit une situation, une émotion, c’est une expérience de la vie et pas toute ma vie. Par exemple, l’expérience de la souffrance, qu’on rencontre dans la méditation, nous permet de nous familiariser avec elle.

Si on accepte la douleur, si on lâche, on se rend compte qu’il n’y a pas que la douleur et qu’elle ne va pas durer. Dans la vie, c’est la même chose: si je m’accroche aux choses, ça ne va pas, je souffre. Le but est d'acquérir la liberté intérieure. Si j’accueille ce qui arrive et ce que je ressens, comme le flux des pensées pendant la méditation, je vivrai les événements beaucoup mieux.

Au fond, que se passe-t-il pendant la méditation ?

On a déjà une posture (position du lotus ou demi-lotus) qui demande un certain tonus, une posture noble, droite, tout en étant détendu. On rassemble son être, pour être très présent à soi-même. Genoux au sol, on étire son dos comme si un fil nous tirait depuis le sommet du crâne et le regard se pose, les doigts se touchant à peine. On respire lentement et on observe son esprit, on laisse passer ses pensées.

Où se situe la souffrance ?

Au-delà de la posture, la première souffrance, c’est l’esprit. Dans notre monde, nous ne sommes pas habitués à l’immobilité. Toute cette agitation de l’esprit rend l’immobilité difficile. Mais c’est comme cela qu’on peut commencer à se connaître. Par cette immobilité, on rentre en relation avec soi-même. En étant face au mur, on regarde vers soi-même, c'est une rencontre intime, ce qui est loin d'être simple.

Au fond, qu’est-ce que zazen ?

Zazen, c’est une pratique de la méditation assise, sans objet, c'est-à-dire que tout est potentiellement là. On parle de la non-pensée. En fait, la substance du zen est la non-substance ! (rires) On parle du corps-esprit: on ne peut connaître l’esprit qu’à travers le corps – on ne peut pas connaître l’esprit que par l’esprit, – donc la posture du corps nous fait connaître l’esprit. Pendant la méditation, on fait le vide, il y a de l’espace pour autre chose.

Est-ce une manière de retrouver la page blanche ?

Prenons l'histoire bouddhiste de la tasse de thé qu'on remplit: quand la tasse déborde, le maître dit au disciple étonné: «C’est comme ton esprit. Il faut le vider pour qu'il puisse accueillir ce qui vient.» Les ateliers sont un espace, un moment privilégié. Je souhaite que cela nourrisse les personnes âgées dont je m'occupe, que ça les aide à entrer en contact avec elles-mêmes. Je travaille à les amener au moment présent, à la conscience de soi et de l’autre, pour leur permettre d’être plus présentes à elles-mêmes. Si on est à l'écoute de soi, on subit moins. C'est ce que j'essaie d'apporter aux personnes âgées: les amener à revenir à elles-mêmes.

Vous essayez de développer leur créativité. Et l’aspect thérapeutique, où se situe-t-il ?

La créativité est thérapeutique en soi, car chacun va travailler sur des aspects différents de l’atelier. J’essaie de toucher leur créativité, car «créer», c’est donner vie. Pour la personne âgée, la vie touche à sa fin, alors j’essaie de leur faire prendre contact avec cette vie, en donnant elles-mêmes vie à quelque chose. En créant un objet, j’existe à travers ma main, je donne vie et c’est aussi une manière de me faire exister.

J’anime des ateliers d’argile, où les participants font chacun un travail personnel. Et des ateliers sur la mémoire, où ils créent un livre, le livre de leur vie ou pas. Ils mettent ensemble, ils rassemblent des images, des photos, des textes, afin de raconter une histoire. En racontant une histoire, ils se racontent aussi. Il y a aussi des ateliers où l’on fabrique une œuvre collective comme une peinture de grand format.

Je les aide à avancer et à développer l’estime de soi. Un des objectifs, c’est que la personne soit autonome. On la met face à des choix: l’outil, la couleur, la trace, ce qu’ils vont raconter. A chaque fois, elle doit faire un retour sur elle-même.

Je travaille aussi sur le lien. Je voudrais éviter que ces personnes soient de plus en plus isolées: le groupe et sa place dans le groupe est importante. C’est une manière de les sortir de l’isolement et de prendre en compte ce qu’elles peuvent exprimer.

Les résidents savent-ils que vous êtes nonne bouddhiste ?

Certains le savent. Je ne le cache pas, mais ne le proclame pas non plus. Là j’ai les cheveux plutôt longs, env. 1 cm. Pendant les retraites, je passe la tondeuse, c’est une façon de faire le vide (rire), ça peut choquer. J'en donne la raison si on me pose la question.

Parfois cela suscite des discussions. Des résidents m’ont demandé des livres, et parfois, les ateliers d’art thérapie peuvent amener des thématiques proches de ma pratique. Par exemple, des réflexions sur les notions de vide, qui peuvent me faire rebondir sur le zen: cela me permet de faire des liens et de nourrir la discussion, à titre personnel, sans d’ailleurs mentionner l’origine de ma vision, ma philosophie.

Que vous apporte le travail avec les personnes âgées ?

Je suis de plus en plus en contact avec leur humanité. Il y a comment on se présente au monde, même en étant âgé, et il y a ce qu’il y a derrière. On oublie que derrière cette personne affaiblie, il y a un être humain, qui a un caractère et tout un passé, toute une vie derrière lui. Mais il y a toujours un être humain qui a besoin d'amour. J’essaie d’entrer en contact avec cette partie, au-delà de la façade. La vie m’a mise devant les personnes âgées, je dois faire avec.

Votre pratique spirituelle change-t-elle votre rapport à la vie.. à la mort ?

Quand une personne décède, il n’y a pas de peine, je n’ai pas de pleurs. Dire au revoir, ça me suffit, car je vois quelle dure épreuve est la vieillesse. Si moi, j’ai pu leur offrir à ce moment de leur vie, de l’espoir, un bout de chemin moins douloureux, voir une manière de voir plus claire, j’espère qu’elles peuvent partir en paix. La mort est aussi une libération dans le corps, car c’est difficile, la vieillesse. Travailler avec elles, c’est une grande chance que la vie me donne. Mon humanité se développe aussi.

  • VOIR :

L'art du zen, le reportage diffusé sur la RTS le samedi 2 juin dans l'émission Faut pas croire

BIO EXPRESS


Elle s’appelle Maria Teresa Avila Pinto Vuillemin, mais aussi Shogetsu Kientchou (lune brillante - refléter le tout) depuis qu’elle a été consacrée nonne bouddhiste en 1994.
D’origine colombienne, après des études de beaux-arts en Italie, elle a découvert le zen à Genève en 1993. Ce fut une véritable révélation: elle s’est très vite prise au jeu de la méditation zazen, s’est mise à pratiquer au Riukai Dojo Zen de Genève, de la lignée de maître Deshimaru, qui a amené le zen en Europe.

L’envie de devenir nonne bouddhiste la saisit rapidement. Au fil des sesshins, les retraites spirituelles, après des heures de méditation, de rencontres régulières avec un maître, la confection du rakusu, pièce de tissu faite d’éléments rassemblés au point très précis, qui prend des mois et des mois, elle est consacrée, après une première ordination comme boddhisattva en décembre 1993, nonne bouddhiste, en août 1994 (après une année et demi de pratique).

Elle est aussi l’épouse depuis 1998 du maître du Dojo de Genève, Maître Vincent Keisen Vuillemin, également physicien au CERN.

Aujourd’hui, elle médite cinq jours par semaine, le matin tôt, avant d’aller travailler comme art-thérapeute aux Marronniers, un EMS à Chêne-Bougeries. Atelier d’argile, travail sur la mémoire et sur le lien à travers des œuvres collectives et individuelles, elle aide à développer la créativité des personnes âgées, tout en leur apportant un moment privilégié. Une manière d’ouvrir un espace, comme une page blanche en attente. Un espace vide, prometteur, ressourçant, comme dans la méditation. M. L.