Dieu est-il un ogre courroucé? Le débat oppose presbytériens et baptistes aux Etats-Unis

légende / crédit photo
i
[pas de légende]

Dieu est-il un ogre courroucé? Le débat oppose presbytériens et baptistes aux Etats-Unis

23 août 2013
(RNS - ProtestInter) La querelle sur l'abandon – dans la nouvelle édition d'un recueil de cantiques presbytérien aux Etats-Unis – d'un chant chrétien très apprécié s'est envenimée. Les baptistes se sont jetés dans la mêlée, transformant le différend en affrontement multiconfessionnel.

Le débat porte sur les doctrines chrétiennes de l'expiation, qui tentent de savoir pourquoi Jésus est mort et si sa mort a assouvi l'ire de Dieu suscitée par le péché de l'humanité. Cependant, certains chrétiens affirment qu'en mettant l'accent sur ces doctrines, l'une des conséquences imprévues serait que Dieu devienne une divinité courroucée qui n'a pu être apaisée que par le sang versé du Christ.

Tel est le point de vue du Comité presbytérien du chant paroissial. Le Comité a retiré le chant intitulé «In Christ Alone» (en Christ seul) du nouveau recueil de cantiques de l'Église presbytérienne, suite au refus des auteurs de la chanson, Stuart Townend et Keith Getty, de modifier les paroles pour en gommer la référence au fait que la colère de Dieu aurait été assouvie.

"Poser le pied sur une mine théologique"

Bob Terry, rédacteur en chef du journal The Alabama Baptist, a posé le pied sur une mine théologique en écrivant un éditorial dans lequel il donnait raison aux presbytériens. Bob Terry affirme croire que la mort de Jésus a payé le prix du péché. Mais les paroles de la chanson vont trop loin.

«Parfois, les chrétiens se représentent Dieu comme un ogre dont le courroux ne cessait de s'abattre jusqu'à ce que l'innocent Jésus souffre assez pour qu'Il s'apaise», a écrit Bob Terry.
Cet éditorial, qui a été publié début août, a suscité une levée de boucliers: dans la blogosphère, sur Twitter, dans le courrier des lecteurs et par téléphone, des lecteurs baptistes en colère ont fustigé le réformisme théologique auquel s'adonnerait Bob Terry, l'accusant de tourner le dos à la Bible. Certains ont appelé de leurs vœux son licenciement.

Fait inhabituel, le président de la Convention baptiste de l'État d'Alabama et le directeur exécutif du Conseil baptiste des missions de l'État d'Alabama ont publié une déclaration critiquant l'éditorial. «Les baptistes de l'Alabama s'efforcent d'être fidèles à l'Écriture et nous affirmons la doctrine chrétienne fondamentale et historique de l'expiation vicaire», ont-ils écrit, en référence à la doctrine selon laquelle Jésus serait mort en se substituant à l'humanité.

Le fait que le rédacteur en chef d'un journal baptiste ait pris fait et cause pour les presbytériens a aggravé la situation, selon John Thweatt, pasteur de la Première église baptiste de Pell City, dans l'Alabama.

Méfiance entre baptistes et presbytériens

Les baptistes conservateurs arborent depuis longtemps une certaine méfiance à l'égard des Églises traditionnelles comme l'Église presbytérienne, les accusant d'abjurer les croyances chrétiennes. En prenant leur parti, Bob Terry s'est fourvoyé, a déclaré John Thweatt. «Il a ouvert la boîte de Pandore», a-t-il ajouté. «Je pense qu'il n'a pas réfléchi à toutes les conséquences.»

Le pasteur Thweatt est un grand admirateur de la chanson «In Christ Alone». Il n'arrive pas à comprendre pourquoi quiconque voudrait la modifier. Selon les paroles originelles de la chanson, Jésus est mort sur la croix et «la colère de Dieu fut assouvie». Le Comité presbytérien voulait changer ce passage en «l'amour de Dieu fut magnifié». Le pasteur Thweatt pense que «supprimer ce passage revient à vider l'Évangile de sa substance.»

R. Albert Mohler Jr., président du Séminaire théologique baptiste du Sud de Louisville, dans le Kentucky, partage cet avis. Selon lui, il n'y a pas de contradiction entre l'amour de Dieu et la colère de Dieu. Tous deux sont nécessaires pour faire face au péché humain. C'est la raison pour laquelle il croit que l'expiation vicaire, substitutive (...), est essentielle. Ceux qui veulent changer «In Christ Alone» pour en retirer le passage sur la colère de Dieu suivent une théologie qui ne tient pas la route, d’après lui. «Cela met au jour des problèmes bien plus graves concernant ce qu'ils croient au sujet de l'expiation», met-il en garde.

C'est l'une des questions qui ont conduit au renouveau conservateur – ou prise de contrôle des fondamentalistes – parmi les baptistes du Sud dans les années 1980 et 1990.

Albert Mohler explique en outre pourquoi l'expiation vicaire est importante pour les baptistes du Sud. C'est l'une des questions qui ont conduit au renouveau conservateur – ou prise de contrôle des fondamentalistes – parmi les baptistes du Sud dans les années 1980 et 1990, quand certains professeurs de séminaire avaient commencé à remettre en cause l'expiation vicaire (...). Le souvenir de cette discorde est encore très frais.

Pourtant, affirme Jay Phelan, professeur titulaire d'études théologiques à l'Université North Park, trop de colère engendre une mauvaise théologie. Selon lui, Albert Mohler et d'autres critiques sont autant motivés par la politique ecclésiastique que par la théologie. Ils font partie du mouvement néo-calviniste, qui met l'accent sur la colère de Dieu à l'égard du péché. «Pour les néo-calvinistes, tout écart vis-à-vis de la théorie stricte (...) revient à emprunter le boulevard qui mène tout droit à l'enfer réformiste», souligne-t-il, déplorant que la vision qu'ont les néo-calvinistes de la mort de Jésus soit trop restreinte.

La plupart des chrétiens croient en l'expiation vicaire. Mais les chrétiens ont des points de vue divergents quant à la façon dont la mort de Jésus a expié les péchés de l'humanité, explique le pasteur Morgan Guyton, blogueur et pasteur adjoint de l'église méthodiste unie de Burke, en Virginie. (...)

Le mot «wrath» (courroux, ire) n'apparaît pas dans une autre chanson populaire écrite par Stuart Townend au sujet de la croix, intitulée «How Deep the Father's Love for Us» (Quelle est l'ampleur de l'amour du père pour nous). Écrite en 1995, cette chanson demeure l'une des cinquante chansons les plus populaires dans les églises selon Christian Copyright Licensing International, qui gère les questions de droits d'auteur pour les Églises.

Le dernier couplet affirme que les détails de l'expiation demeurent un mystère. (...). «Je n'ai pas la réponse. Mais ce que je sais au plus profond de mon cœur, c'est que Ses blessures ont payé ma rançon», dit la chanson. (JMP)