Burqa - Les lois inutiles et potentiellement délétères

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Burqa - Les lois inutiles et potentiellement délétères

Jean Martin
25 septembre 2013
Le grand Montesquieu a dit: «Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires». En inscrivant l’interdiction du port de la burqa dans leur Constitution, nos amis tessinois viennent, à deux contre un, d’ajouter un nouveau fleuron à ces textes qui, tout en ne servant pas à grand-chose, allument des débats et conflits qui mettent à mal la vie en commun.

, membre de la Commission nationale d’éthique

Dimanche 22 septembre à la radio romande, une journaliste tessinoise soulignait qu’il est aujourd’hui extrêmement rare de voir une burqa chez nos Confédérés du Sud des Alpes (Giorgio Ghiringhelli, promoteur du texte accepté, est donc chanceux d’en avoir vus…). De plus, il est vraisemblable qu’il s’agit de riches touristes orientales, dont il est peu probable que le Tessin ait envie de se débarrasser. Allez comprendre.

Tout indique ainsi que la démarche électorale populiste en question s’est passionnée pour un non-problème - que certains, pour des raisons de profilage politique, ont besoin de faire passer pour une défense indispensable de notre suissitude - chacun a le droit de choisir sa Guerre de Troie, aussi futile soit-elle.

Quant au fond: pour qui est attaché aux droits des gens, dans la foulée des Lumières et des Déclarations qui y ont fait suite, la liberté de mener sa vie sans en être empêché en aucune manière, dans la mesure où cela ne nuit pas à autrui, est un principe fondamental. Y compris la liberté de manifestation et de religion.

Des mesures autoritaires interdictrices ne sont imaginables que s'il y a atteinte caractérisée aux droits ou aux intérêts d'autres. Or à qui, Mesdames et Messieurs, la rarissisme femme en burqa qu’on peut (qu’on pouvait) entrevoir dans une rue tessinoise, à qui cette femme fait-elle un tort majeur? A personne, à l’évidence.

J’ai entendu avec une vraie préoccupation, dimanche soir, le président du PDC suisse dire le bien qu’il pensait de la décision tessinoise et laisser entendre qu’il était en faveur de lois cantonales limitant ou interdisant le port du voile par les écolières. Pour sauver qui de quel danger?

On dira que cette décision pourrait ne pas être anti-femme ou anti-Islam mais qu’elle est justifiée, dans un esprit d’égalité de traitement, par rapport à l’interdiction dans certains endroits du port de la cagoule - qui peut cacher un hooligan voire un terroriste. En fait, la question est ici académique puisque Giorgio Ghiringhelli ne cache pas que son initiative entend lutter contre l’influence de l’Islam.

Dans tous les cas, des services de police aussi compétents que ceux que nous espérons avoir devraient être en mesure de faire la différence entre une ménagère qui fait ses emplettes et un gangster. Sur le sujet voisin du voile, certains voudraient que le canton de Vaud légifère; il est dit que 200 jeunes Vaudoises le portent, sur 40'000 fréquentant école ou apprentissage. Là aussi: qui menacent-elles? Poser la question, c’est y répondre. Elément de nature quasiment historique, je m‘étais félicité à l’époque d’une décision à la Chaux-de-Fonds refusant d’interdire le voile à l’école.

Je peine à être convaincu par les théories selon quoi le voile, par exemple, est un signe caractérisé de soumission à l’homme, et donc d’oppression - et note en passant m’être engagé souvent, publiquement, contre toute oppression des femmes et jeunes filles, et des enfants d’ailleurs. Laissons donc à ces femmes (à supposer qu’il ne s’agisse pas de touristes) un peu de temps pour vivre ici et, le cas échéant, modifier progressivement leur manière de vivre et de se vêtir.

Une raison majeure de ne pas suivre l’exemple tessinois, dans des situations de non-problème et compte tenu d’un fréquent bruit de fond xénophobe, c’est qu’on doit craindre que les discussions politiques et sociétales sur ces sujets ne dérapent. Une autre est la référence trop aisément faite à la laïcité exacerbée à la française, inadaptée à notre réalité et qui, dans la ligne centralisatrice-uniformisante du pays voisin et ami, est un éteignoir de diversités.

Dans un pays qui depuis sa fondation a vécu très pratiquement les différences culturelles, il faut de loin préférer le principe qui est le nôtre de neutralité religieuse des pouvoirs publics. Les Suisses ont pour habitude, exercée au cours des siècles, de gérer leurs différences dans l’écoute et la discussion, généralement sereines; les modalités hexagonales parfois agressives ne sont pas notre manière de faire.

Contre-productif

En résumé: la pesée des enjeux fait penser (à mon sens démontre) qu’il est contre-productif et, au moins potentiellement, source d’exclusions et de racisme de légiférer sur ces sujets. Notamment parce qu’aujourd’hui, rien ne le demande (si ce n’est des souhaits de visibilité politique) et que les débats y relatifs, dans les parlements comme la collectivité, risquent fort de devenir acrimonieux, voire nauséabonds. A relever encore de très probables difficultés d’application pratique (en France qui connaît une telle loi, les incidents relatifs à son application sont fréquents et, en juillet dernier, le contrôle d’identité d’une femme portant un voile intégral a déclenché plusieurs nuits de violences).

L’intérêt public ne sera certainement pas servi en ressuscitant des guerres de religion. Avoir la sagesse de préserver par d’autres moyens la convivialité entre nous. A cet égard, j’ai entendu avec une vraie préoccupation, dimanche soir, le président du PDC suisse dire le bien qu’il pensait de la décision tessinoise et laisser entendre qu’il était en faveur de lois cantonales limitant ou interdisant le port du voile par les écolières. Pour sauver qui de quel danger? Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires.