A quand l'égalité, la vraie?

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A quand l'égalité, la vraie?

19 octobre 2016
Protestinfo propose régulièrement des éditos rédigés par des membres des rédactions de Médias-pro.

Noriane Rapin, stagiaire à Médias-pro, livre ses réflexions sur la condition féminine et le féminisme actuel.

Photo: Tengrain CC (by-nc)

Il n’y a pas si longtemps, je rechignais à me définir comme féministe. Je voyais dans ces mouvements une espèce de fronde révolutionnaire, dont les discours causaient du tort plus qu’ils ne pourfendaient l’injustice… Et d’ailleurs, quelle injustice prétendait-on réparer? La cause des femmes n’était-elle pas acquise désormais? Puis j’ai grandi, découvert le monde et je suis moi-même devenue une femme. Aujourd’hui, l’actualité me prouve que le féminisme est une absolue nécessité… Mais pas de n’importe quelle manière.

Après que les déclarations sexistes et obscènes de Donald Trump ont été révélées, il y a une dizaine de jours, deux hashtags ont envahi le réseau social Twitter aux Etats-Unis. Le premier, #NotOkay («pas d’accord»), a été lancé par l’actrice Kelly Oxford. Cette dernière invitait les femmes à témoigner des abus sexuels qu’elles avaient subis: il a été repris près de 10 millions de fois. Le second, #WhyWomenDontReport («pourquoi les femmes ne portent pas plainte»), initié par la journaliste Elisabeth Plank, réunit les innombrables récits de femmes qui ont préféré taire un viol, ou qui regrettent d’en avoir parlé. Les raisons invoquées sont toujours les mêmes: soit on ne les croit pas, soit on les rend responsables de ce qu’elles ont subi.

Et en Suisse? Le procès du meurtrier présumé d’Adeline a mis en lumière la façon dont notre pays, plus que les voisins européens, fait peu de cas de la violence sexuelle à l’encontre des femmes: condamné à 18 mois de prison avec sursis pour viol, l’accusé s’est permis de qualifier sa peine d’«invitation à recommencer». Mais l’injustice ne se limite pas aux abus: en Suisse, les femmes gagnent en moyenne 20% de moins que leurs homologues masculins. Cet écart s’expliquerait à 40% par des facteurs discriminatoires. Enfin, en l’occurrence, nous sommes dans la norme, puisqu’aucun pays du monde n’a atteint l’égalité salariale à ce jour…

Je m’inquiète cependant quand le féminisme se trompe de cible. En parcourant certains blogs ou sites internet, je suis agacée de lire les nombreuses féministes qui opposent systématiquement les deux sexes, en dépréciant soigneusement «les hommes» sans autre distinction. Je regrette également qu’en Suisse les modifications proposées du Code pénal en matière de viol soient parfois excessives: s’il est urgent de reconnaître le tort causé aux victimes, on ne peut prononcer une peine égale ou supérieure à celle qui punit un meurtre. C’est méconnaître le rôle du droit pénal, qui n’est pas seulement de «venger» la victime, mais aussi de réhabiliter le coupable. Dans les deux cas, la colère a pour objet un groupe d’individus – les hommes, très majoritairement – auquel on refuse les droits égaux tant réclamés et la possibilité de s’amender.

Je suis chrétienne. Je crois en la dignité égale et irrévocable de tous les êtres humains. De plus en plus, je réalise à quel point les femmes sont encore peu considérées dans notre société occidentale, et je réalise surtout à quel point cela me touche. Mais je pense qu’il nous faut nous attaquer à des mécanismes très profonds, que nous avons tous intégrés et que nous perpétuons inconsciemment, hommes et femmes. Si la lutte pour l’égalité devient une guerre des sexes fratricide, elle aura perdu de vue son objectif. Il ne s’agit pas de combattre les hommes, mais d’éduquer une société qui a négligé la moitié de ses membres.