Les couloirs humanitaires, un modèle difficilement exportable en Suisse

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Les couloirs humanitaires, un modèle difficilement exportable en Suisse

Joël Burri
11 avril 2017
Permettre aux personnes les plus vulnérables d’atteindre l’Europe en vol de ligne plutôt que d’alimenter le marché des passeurs, tel est le projet des Eglises italiennes qui commence à essaimer en Europe. Difficile toutefois de le reprendre tel quel en Suisse.

Permettre aux personnes les plus vulnérables d’atteindre l’Europe en vol de ligne plutôt que d’alimenter le marché des passeurs, tel est le projet des Eglises italiennes qui commence à essaimer en Europe. Difficile toutefois de le reprendre tel quel en Suisse.

Dessin tiré de la série «Disegni dalla frontiera» ©Francesco Piobbichi/Mediterranean hope

Le modèle a fait ses preuves en Italie. La France vient de le mettre en place et la Belgique s’y intéresse. Plutôt que de laisser les Syriens tenter d’atteindre l’Europe en ayant recours à des passeurs, les Eglises protestantes italiennes, en collaboration avec la communauté Sant'Egidio se sont engagées à prendre en charge des migrants parmi les plus vulnérables. L’ambassade de Beyrouth leur accorde un visa humanitaire, et ils peuvent arriver par vol de ligne sur la péninsule où ils font leur demande d’asile. Avantage, ils évitent ainsi de risquer leur vie en mer et d’alimenter le marché sans foi ni loi des passeurs qui engrangerait 15 milliards de francs par année. Avantage pour le pays d’accueil, les candidats à l’asile les plus vulnérables font l’objet d’une première sélection sur place.

Sensible à l’urgence humanitaire, et constatant que les quotas d’accueils pour lesquels la Suisse s’est engagée ces dernières années sont loin d’être atteints, la communauté Sant'Egidio de Lausanne lance le débat: «bientôt un couloir humanitaire vers la suisse?» Vendredi devant une centaine de personnes une table ronde tentait de répondre à cette question. Les conseillers nationaux Ada Marra et Carlo Sommaruga faisaient notamment partie des intervenants.

Carlo Sommaruga a rappelé que le modèle italien n’est pour l’heure pas compatible avec la législation suisse: «La Suisse considère qu’une fois qu’ils ont quitté le territoire du pays dans lequel ils sont persécutés, les futurs requérants d’asile sont en sécurité. Les ambassades des pays voisins ne peuvent donc pas délivrer de visa humanitaire. Vous imaginez bien que pour un Syrien réfugié au Liban, il est impossible de retourner à Damas pour demander un visa humanitaire. D’ailleurs, l’ambassade suisse y est fermée.»

Les intervenants sont revenus en quelques chiffres pour rappeler la complexité de la situation. 65 millions de déplacés dans le monde. 80% dans leur propre pays. Plus de 5 millions de Syriens déplacés en dehors de leur pays, principalement dans les pays voisins. Plus d’un million sont au Liban, un pays de seulement 6 millions d’habitants. Le pays est largement dépassé et les conditions d’accueil sont déplorables.

Faut-il changer la loi pour rendre possible la mise en place de couloir humanitaire vers la Suisse? «Vous êtes ici un public lumineux ayant un rapport positif vis-à-vis de la question de la migration. Mais il ne faut pas se faire d’illusion, la majorité n’est pas de notre côté», a regretté Ada Marra. «La loi sur l’asile est la loi la plus révisée. Mais il faut reconnaître qu’en Europe et en Suisse, on est plutôt en train de construire une forteresse que de garantir l’accueil.» Carlo Sommaruga complète: «il serait risqué de venir devant le Parlement avec une proposition de couloir humanitaire. Aujourd’hui, il n’y a pas de majorité au Conseil national. Un tel débat amènerait à une fermeture claire.»

Mais il est important pour les Eglises et autres groupes de la société civile de mettre en place des propositions d’accueil. Les autorités fédérales et cantonales sont prêtes à collaborer avec de tels mouvements, témoigne le chanoine Claude Ducarroz fort de son expérience avec le mouvement fribourgeois «Osons l’accueil!» Ce mouvement est né au lendemain de manifestation contre un centre d’accueil. «Nous voulions simplement faire la preuve qu’il y a encore de l’humanité chez nous. Peut-être qu’il suffit de la réveiller», rappelle l’ecclésiastique.

Ada Marra insiste: «aujourd’hui, certains courants jouent sur la peur de l’étranger. Tout ce que les Eglises mettent en place peut permettre de lutter contre cette crainte infondée permet de faire avancer ce combat.»