Pour les Églises historiques, « le salut vient de la migration »

Contrairement au reste de la société, les Églises sont rarement multiethniques. Crédits: Istock-FatCamera / Istock-FatCamera
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Contrairement au reste de la société, les Églises sont rarement multiethniques. Crédits: Istock-FatCamera
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Pour les Églises historiques, « le salut vient de la migration »

26 août 2020
Prévue pour septembre 2020, la nouvelle formation en théologie interculturelle qui devait voir le jour à l’Institut œcuménique de Bossey sera finalement lancée en mars 2021. D’ici là, certains partenaires pourraient encore rejoindre cette initiative pionnière. Retour sur ses enjeux avec Benjamin Simon, professeur de missiologie œcuménique et porteur du projet.

L’idée de former à une théologie de l’interculturalité est liée à l’existence de communautés chrétiennes issues de la migration. On peut en distinguer trois : celles dites autochtones qui, à partir d’un pays donné, envoient des missionnaires à l’étranger. Les communautés diasporales, nées dans une diaspora. Et, enfin, les Églises transculturelles, fondées par des membres d’une diaspora retournant dans leur pays d’origine ou s’installant dans d’autres pays (par exemple, des Brésiliens ayant vécu en Suisse qui fonderaient une nouvelle communauté à leur retour au Brésil). C’est Benjamin Simon qui a mis en lumière ces spécificités.

Peu connues, ces réalités, dues notamment à la mondialisation, transforment le christianisme en profondeur depuis au moins vingt ans. La spécificité de ces communautés nées hors des sentiers battus, au gré des besoins, des appels spirituels, et des communautés, est d’être souvent dirigées par des personnes sans formation théologique. En Angleterre, en Allemagne ou en Suisse alémanique, des formations ont vu le jour ces dernières décennies pour combler ces lacunes. Ainsi, à Bâle, un certificat en études avancées (CEA) ou CAS en allemand a vu le jour au sein de la faculté de théologie protestante. Dans le monde francophone, si des initiatives pour des contacts avec les Églises issues de la migration existent — par exemple le projet Mosaïc, en France — aucune formation spécifique n’a vu le jour.

D’où vient la volonté de lancer une formation à la théologie de l’interculturalité ?

Benjamin Simon : L’idée est ancienne. Mais c’est vraiment il y a deux ans qu’est née la volonté de créer un enseignement similaire au CAE bâlois. Plusieurs partenaires se sont associés pour avancer sur ce thème : DM-échange et Mission, Témoigner ensemble à Genève, l’Office protestant de la formation, l’Institut œcuménique de Bossey, le Conseil œcuménique des Églises, le service missionnaire protestant français (Défap)… Depuis un an, un groupe opérationnel a été créé et des rencontres de suivi ont lieu régulièrement. D’autres pourraient encore rejoindre la dynamique. Nous souhaitions démarrer en septembre avec une formation répartie sur 12 à 14 week-ends par an. Le Covid en a décidé autrement : nous aurons un cours d’essai de six week-ends entre mars et juillet 2021. La formation proprement dite, d’une durée d’un an, démarrera en septembre 2021.

Quel sera le public visé ?

Les expériences de Hambourg et de Bâle montrent que les participants sont quelquefois des pasteurs locaux. En plus des responsables de communautés issues de la migration, nous voudrions donc que le groupe soit mixte dès le départ. Cela se reflétera dans le tandem professoral : l’un des enseignants sera européen et l’autre issu d’un pays africain et francophone. L’interculturalité au sein du corps professoral n’est, cependant, pas facile à trouver. Les cours prendront plutôt la forme d’ateliers, l’idée étant de permettre aux participants d’apporter leurs expériences de vie.

Avec quels bagages ou compétences repartiront les participants ?

Le cours se basera sur des thèmes classiques de théologie, par exemple : comment prêcher de nos jours au sein de cultures différentes ? Comment définir la Mission au XXIe siècle ? Une autre séance portera sur les questions éthiques qui fâchent… Le but est de montrer comment les sujets culturels constituent, en réalité, toujours l’arrière-fond des problèmes théologiques. Tous les sujets traités auront une perspective interculturelle, avec d’autres regards, pour que les participants puissent développer de l’empathie pour des personnes vivant dans d’autres situations culturelles et, au final, qu’elles puissent mieux s’adresser à elles, les inclure dans leurs célébrations.

Nos paroisses sont encore très ethniques. Pourtant, dans le reste de la société, nous sommes tous mélangés ! 
Benjamin Simon, professeur de missiologie œcuménique

Le but est donc d’équiper les paroisses historiques de compétences pour accueillir des personnes d’autres cultures ?

Oui, il leur faut pouvoir intégrer ces personnes qui frappent à leurs portes. Nos paroisses sont encore très ethniques. Pourtant, dans le reste de la société, qu’il s’agisse de cours de musique, de groupes sportifs ou d’écoles, nous sommes tous mélangés ! Seules nos Églises sont encore aussi ségrégées. À l’encontre même du message de la Bible, qui ne se reflète pas dans ces structures. La théologie interculturelle a pour but de développer une culture interculturelle, sans barrière d’aucune sorte, pour permettre à tous d’être vraiment ensemble.

N’est-ce pas utopique de vouloir supprimer ces barrières ? Rien que sur le plan linguistique, comment réunir, par exemple, des Éthiopiens ou Érythréens célébrant en tigrigna et des Suisses romands francophones ?

Il y a toujours des solutions, mais il faut avoir une ouverture pour des changements possibles. Sans cette disposition, c’est très difficile. Dans ma thèse de doctorat sur les Églises africaines d’Allemagne, j’ai montré que ces nouvelles communautés d’immigrés connaissent trois « phases » : un temps de séclusion (isolation passive, NDLR) où elles restent entre elles, une phase d’ouverture où des locaux sont intégrés à la paroisse, puis une phase d’interculturalité où l’apprentissage de la culture de l’autre se fait des deux côtés. Je ne sais pas si on peut parler d’utopie : à Karlsruhe, en Allemagne, où j’ai vécu, j’étais membre d’un groupe œcuménique fédérant 35 paroisses de toutes confessions, incluant des évangéliques et des orthodoxes. Nous nous retrouvions souvent pour des cultes interculturels œcuméniques, où des groupes de louange en costume faisaient face à un prêtre orthodoxe, et où le sermon était lu en arabe, mais traduit ! On laissait simplement exister ces éléments différents dans le même culte. C’était une fête interculturelle qui contenait les différents composants du christianisme mondial, présent à nos portes et aujourd’hui dans nos vies.

Parfois, il faut aussi laisser la différence comme elle est, on ne peut pas tout niveler, le christianisme est divers.
Benjamin Simon, professeur de missiologie œcuménique

La différence n’est pas seulement formelle, entre ces divers courants, elle porte souvent sur le fond…

Dans cette formation, nous aborderons des sujets théologiques controversés dans le domaine éthique et des questions qui fâchent. Le but est d’avoir des discussions faisant une place à la controverse, tout en nous respectant mutuellement et en pouvant continuer dans le dialogue malgré nos opinions et croyances différentes. Parfois, il faut aussi laisser la différence comme elle est, on ne peut pas tout niveler, le christianisme est divers.

Allez-vous aborder explicitement le thème de la migration ?

Nous n’en parlerons pas théoriquement parce qu’il fait déjà partie de la réalité pratique de ce cours. Elle est la situation existentielle des personnes concernées par ce cours, hormis les autochtones. Je crois que la théologie que l’on développe est toujours liée à sa biographie ou à ses expériences personnelles.

Nos Églises occidentales sont trop établies, trop à l’aise, ont eu trop d’argent pendant trop longtemps.
Benjamin Simon, professeur de missiologie œcuménique

Quel impact espérez-vous que cette formation ait sur les Églises historiques ?

Nous avons la chance de développer ce cours avec des pasteurs et des dirigeants d’Églises suisses et françaises présentes depuis des générations ainsi que des dirigeants issus de l’immigration, parce qu’il faut que quelque chose change dans les Églises réformées suisses. Où est la jeune génération ? Les Églises issues de l’immigration offrent un immense potentiel de transformation de nos Églises et de nos paroisses, si l’on est d’accord, si l’on s’ouvre et si l’on veut ce changement, bien entendu. Avec cette formation, nous amorçons ce mouvement. Le salut passe par la migration, c’est un motif biblique depuis Abraham, qui traverse toute la Bible. Nos Églises occidentales sont trop établies, trop à l’aise, ont eu trop d’argent pendant trop longtemps, sans aucun souci à se faire sur la venue ou non de leurs membres aux cultes. Cette époque est révolue. On voit déjà qu’une crise a lieu quand on constate le faible nombre de personnes présentes au culte. Nous ne sommes cependant pas encore dans une crise existentielle. En créant un dialogue avec des Églises du monde entier, nous pouvons trouver de nouvelles idées, redevenir créatifs, découvrir comment le christianisme vit dans d’autres pays du monde. Mais pour cela, il faut d’abord pouvoir se rencontrer. La sociologue Homi Baba parlait de third space, pour développer une tierce pensée à partir de celles de deux acteurs existants. Notre formation veut offrir cet espace tiers.