Droit de vote: les Églises jouent l’inclusion

Vote inclusif à l'Église. Image d'illustration. © iStock/smartboy10 / Vote inclusif à l'Église. Image d'illustration. © iStock/smartboy10
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Vote inclusif à l'Église. Image d'illustration. © iStock/smartboy10
Vote inclusif à l'Église. Image d'illustration. © iStock/smartboy10

Droit de vote: les Églises jouent l’inclusion

21 mai 2021
À Genève, depuis le mois de mars, l’incapacité de discernement ne fait plus partie des critères d’accès au droit de vote. Une première au niveau politique en Suisse. Par contre, dans la majorité des Églises de Suisse romande, c’est déjà le cas. Tour d’horizon.

Le secret de l’isoloir n’est pas l’apanage de tous les Helvètes. Pour jouir du droit de vote, mais aussi d’éligibilité, il faut non seulement avoir 18 ans et être de nationalité suisse, mais aussi ne pas être, en raison d’une incapacité durable de discernement, protégé par une curatelle de portée générale ou par un mandat pour cause d’inaptitude. Sans quoi, les droits politiques sont retirés. Mais les citoyens genevois en ont décidé autrement et l’ont fait savoir dans les urnes. Depuis mars dernier, les personnes privées jusque-là de leurs droits politiques peuvent désormais en profiter. La Constitution cantonale s’en est ainsi vue modifiée. Un cas unique en Suisse. Décision symbolique pour certains, elle a toutefois le mérite d’être pionnière dans le pays, le canton du bout-du-lac étant désormais le seul à se conformer à la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées, ratifiée par la Suisse.

Si la Cité de Calvin brille par son inclusivité, elle n’en détient pas le monopole. En Suisse romande, cela fait déjà belle lurette que les Églises – qui pour leurs institutions internes se dotent d’outils démocratiques – jouent l’inclusion. Réformées comme catholiques, la majorité d’entre elles accordent à leurs ouailles le droit de vote et d’éligibilité. À chaque clocher ses critères, et dans la plupart des règlements en vigueur, il n’est tout simplement pas fait mention de critères d’exclusion. Le bon sens reste pourtant sous-jacent. 

Un peu de bon sens

À Genève justement, la Constitution de l’Église protestante de Genève (EPG) stipule que tout membre accède au droit de vote dès 16 ans, à l’éligibilité dès 18 ans, sans précision concernant les membres de l’Église sous curatelle, en situation de handicap mental ou psychique.

«Nous n’avons pas légiféré sur ce point et la différence n’est pas pertinente. Comme pour toute candidature à une élection, il convient de faire preuve de bon sens, quand on sollicite une personne qui a des difficultés de compréhension. Chacun apporte ce qu’il peut et la communauté est présente pour l’aider et le soutenir», explique Joëlle Walther, présidente du Consistoire (délibérant) et membre du Conseil du Consistoire de l’EPG (exécutif). «C’est peut-être là la différence avec une institution politique, dans laquelle un candidat représente un parti, avec des intérêts propres», poursuit-elle.

Les critères d’accès aux droits ecclésiaux de l’EPG se retrouvent dans les Églises réformées valaisanne et fribourgeoise. «Théoriquement, une personne handicapée mentalement dispose des mêmes droits qu’un autre membre de l’Église», affirme Stephan Kronbichler, vice-président du Conseil synodal (exécutif) de l’Église réformée évangélique du Valais (EREV). Dans les faits, la question ne s’est tout bonnement pas encore posée. Si elle devait l’être, «il n’y aurait pas d’exclusion automatique, mais il faudrait faire preuve de bon sens et procéder à une analyse à la lumière de la loi valaisanne sur les droits politiques, car l’EREV est une entité de droit public», estime l’avocat. Et d’ajouter que «la décision genevoise envoie un signal inclusif qui se veut avant tout symbolique. Mais il ne faudrait pas qu’en accordant le droit de vote à quelqu’un, qui n’a ni la capacité de comprendre un enjeu ni de se former une opinion, par exemple à une personne plongée dans le coma, on en vienne à dévaloriser la responsabilité qu’assume un citoyen lorsqu’il vote.»

En théorie aussi, au sein de l’Église évangélique réformée fribourgeoise (EERF), il n’y a pas d’exclusion. Pourtant, pour son président, Pierre-Philippe Blaser, «tant que ce droit de vote n’est pas reconnu dans le droit cantonal, il ne s’applique pas – en tout cas pas automatiquement – au sein des paroisses», l’EERF étant une institution reconnue comme corporation de droit public dotée de la personnalité juridique. Lorsqu’on se plonge dans les règlements, on note en effet qu’une personne âgée de 16 ans révolus et capable de discernement peut sortir de l’EERF. «On pourrait en déduire que la capacité de discernement est mentionnée pour protéger une sortie sous l’influence des parents, ou alors que la capacité de discernement porte sur toute situation. Il devrait donc en être de même pour l’inscription à l’Église», esquisse le pasteur. Mais là encore, la confirmation du baptême signifie notamment la participation de plein droit comme membre de l’Église. «Or dans les institutions pour personnes vivant avec un handicap, nos aumôniers célèbrent le rite de confirmation. L’adhésion à l’Église peut donc ainsi être traitée aussi "pastoralement"», ajoute Pierre-Philippe Blaser. Ainsi, une personne sous curatelle, par exemple, aurait le droit de vote. «Dans nos paroisses, une telle personne engagée et intéressée par la vie de la paroisse serait certainement admise au vote lors de l’assemblée.»

Qui ne dit mot consent

Faudrait-il alors plonger dans la définition même du statut de membre d’une Église pour trouver une réponse claire? Parmi les critères, propres à chaque institution, on trouve notamment l’adhésion à ses principes fondateurs, l’âge, le lieu d’habitation, et l’inscription au registre paroissial. Pas de quoi trancher. Pas de raison non plus. Dans les Églises réformées des cantons de Neuchâtel (EREN) et du canton de Vaud (EERV), le droit de vote est accordé aux membres dès l’âge de 16 ans. «Il n’y a pas de raison d’exclure qui que ce soit, et la curatelle n’est pas un obstacle. À tout le moins, le Règlement ecclésiastique vaudois ne prévoit aucune limite ou restriction à cet égard. Et si la question devait se poser, la tendance ne serait vraisemblablement pas à la fermeture, mais bien à l’inclusion des personnes handicapées, en accord avec la ratification par la Suisse de la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées», précise David Muttner, chancelier de l’EERV.

C’est du côté de l’Union synodale des Églises réformées Berne-Jura-Soleure qu’il faut chercher pour trouver les seules mentions sur la question. Alors que l’Église bernoise donne accès au vote et à l’éligibilité dès 18 ans aux membres domiciliés dans la paroisse depuis trois mois, chez sa consœur jurassienne, «la capacité de discernement est l’un des critères retenus pour la participation au vote, parallèlement à l’appartenance à l’Église, le domicile dans une paroisse et la limite d’âge des 16 ans révolus». Dans le canton de Soleure, c’est la loi cantonale qui fait foi à l’intérieur des murs de l’Église aussi, «excluant ainsi de la capacité de vote toute personne au bénéfice d'une curatelle élargie ou représentée par une personne de confiance au titre d’un mandat d’assistance, en raison d'une incapacité de discernement durable», précise Bertrand Baumann, responsable de la communication francophone des Églises réformées Berne-Jura-Soleure.

Outre-Sarine, d’ailleurs, on compte plusieurs Églises réformées sur cette même ligne. Il y a quelques semaines, le média alémanique Ref.ch révélait que les Églises des cantons d’Argovie, Thurgovie, Zurich et Lucerne appliquent également ces mêmes conditions.

L’inclusion catholique

Côté catholique, l’exercice des droits politiques ecclésiastiques des fidèles en assemblée est aussi soumis à une liste de critères. Établis par les différentes fédérations, corporations et collectivités ecclésiastiques cantonales, on compte notamment l’appartenance religieuse, l’âge et le domicile. Dans les cantons de Genève, Neuchâtel et Vaud, il n’est nullement fait mention du discernement. Sur Fribourg, par contre, les critères d’éviction sont calqués sur la loi cantonale, et dans le Jura, «les personnes qui, en raison d’une incapacité durable de discernement, sont protégées par une curatelle de portée générale ou par un mandat pour cause d’inaptitude ne sont pas électrices».

Majoritairement inclusives, les Églises le sont sur ce point presque par hasard. La question ne s’étant pas encore posée. Il n’empêche qu’elles ne dérogent ainsi pas à leur principe évangélique d’accueil inconditionnel. Et en mettant en œuvre l’article 29 de la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées, les Églises ont même un coup d’avance sur les institutions politiques.